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UNE DE PERDUE

— Comment l’acheter, avec rien ?

— Mais ne gagnes-tu pas de l’argent, quand tu travailles les dimanches ?

Pompée baissa la tête, roula lentement sa casquette ; puis, après quelques instants de silence, il dit d’un air moitié riant moitié triste : « Jamais capable gagner ma liberté ! Il y a trente ans que je travaille tous les dimanches, et n’ai pas un picaillon pour acheter du tabac ; comment voulez-vous moué acheté liberté ?

— Que fais-tu de ton argent ?

— Mon argent, y n’est pas gros !

— Mais tu travailles les dimanches ? Et combien gagnes-tu ces jours-là ?

— Quelquefois dix, quelquefois douze escalins, quelquefois plus. C’est pas gros ça, pour passer la semaine, quelquefois perdre tout aux cartes.

— Tu sais travailler la forge ; tu dois pouvoir gagner deux ou trois piastres par jour, quand tu as de l’ouvrage ?

— Pas toujours de l’ouvrage, et l’on est mal payé ; pas toujours en argent, plus souvent je reçois des effets ; c’est aussi bon pour moué, car souvent ne sais pas que faire avec l’argent.

— C’est vrai, tu ne savais trop que faire de ton argent ; mais maintenant que tu pourras l’employer à payer pour ta liberté, ne voudrais-tu pas le ramasser pour la racheter ?

Pompée baissa la tête, comme s’il n’osait dire sa pensée tout entière, jeta un coup d’œil de désappointement vers les planteurs qui étaient auprès du capitaine, puis faisant un effort, il dit avec un soupir :