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UNE DE PERDUE

pins enveloppaient le bocage dans une demie obscurité. Au pied d’un arbre, sur l’herbe fraîche, était assise une jeune fille, belle et blonde ; elle tenait à la main une rose qu’elle effeuillait d’un air distrait, jetant les pétales détachées dans l’onde du ruisseau.

Quelle est donc cette étrangère ? elle n’a pas le costume des religieuses, pas même celui des novices. Ses vêtements sont plutôt ceux du monde que ceux d’une maison du Seigneur ; ses cheveux en boucles retombent sur ses épaules, une fleur solidaire est attachée à son corsage, ses petits pieds sont chaussés de souliers de cuir verni. Cependant elle paraît triste, son regard mélancolique suit les feuilles de sa rose qu’emporte le courant, pour aller bientôt s’engloutir dans le gouffre du torrent qui mugit au pied de la montage. A-t-elle un regret, ou pense-t-elle à la nuit du tombeau dans laquelle doit s’ensevelir pour toujours son existence de jeune fille ? Encore une heure, une seule heure de vie dans le monde ! il est six heures, à sept heures les portes de la vie doivent se fermer sur sa jeunesse pour l’enfoncer dans les rigueurs du cloître. Cette jeune fille, c’est une novice au dernier jour de sa probation ; ce jour, pour la dernière fois elle revêt les parures du siècle, pour ne plus les revoir jamais. Ce dernier jour est pour elle comme un jour de fête ; c’est pourquoi elle n’a pas suivi ses compagnes, quand la cloche a sonné six heures ; il lui est permis de donner la dernière heure au plaisir, si elle le veut ; à la solitude si elle le préfère ; à la rêverie et à la réflexion, si elle s’y sent entraînée. Toute la journée jusqu’à sept heures, il lui est permis de recevoir, au parloir, les visites que ses parents ou ses amis désirent