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UNE DE PERDUE

rien. Ils ne trouvaient pas d’acheteurs. L’idée générale était que les nègres, une fois libres, ne voudraient plus travailler. Cette idée, fondée sur l’expérience de la paresse naturelle de l’esclave, qui ne travaille que sous la surveillance du commandeur et la crainte du fouet, paraissait correcte et sans réplique. Mais on ne faisait pas la réflexion qu’en traitant l’esclave comme une brute on le rendait semblable à la brute ; il était assuré de son pain et de son vêtement, quel intérêt avait-il à travailler ? Aucun ; il n’en retirait aucun profit. La peur de la punition seule pouvait, comme elle était la seule, qui dût le faire travailler. Quel est le blanc qui travaillerait, s’il ne devait pas retirer un profit de son travail ? Si l’on compare le travail des esclaves avec l’ouvrage que font les ouvriers, les journaliers et les artisans de l’Europe, l’on verra que ces derniers travaillent bien plus, plus longtemps et bien mieux ; et souvent pour un salaire qui suffit à peine à leur entretien et celui de leur famille.

Plusieurs des habitants des Iles, néanmoins, qui avaient eu occasion d’employer à gages des noirs libres, préféraient les employer que de se servir d’esclaves ; d’autres, qui avaient employé des noirs libres à la pièce ou à l’entreprise, s’étaient aperçu que, de cette manière, ils obtenaient plus d’ouvrage et faisaient plus de profit, qu’ils n’eussent pu en faire avec un nombre plus grand d’esclaves. Aussi ces personnes, profitant de la panique, achetèrent-ils à vil prix de superbes plantations, qu’ils exploitèrent par des nègres à gages ; et ils firent des fortunes. La première année, néanmoins, au temps de la roulaison, plusieurs nègres refusèrent de s’engager ; ce