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UNE DE PERDUE

Il y a quelque chose de si neuf dans ce langage de mer, si brusque, si rude, si court, que l’on semble involontairement l’admirer comme une expression d’un monde inconnu. Et, à la veille d’un orage, sur l’immensité des mers où l’on ne voit que des flots mugissant, s’entre-choquant, écumant, à droite, à gauche, à l’avant, à l’arrière et partout, l’âme est si impressionnable, qu’un rire, un accident de tous les jours, l’agite et la transporte !

Sir Arthur Gosford admirait la sublimité du spectacle qui se déroulait dans cet immense horizon. Miss Thornbull éprouvait une certaine crainte vague et indéfinissable ; et Clarisse, malgré sa vive gaieté, était sérieuse ; elle regardait furtivement le capitaine Pierre, admirant sa belle figure si noble, et sa voix sonore si mâle. Il était en ce moment appuyé sur le bastingage de tribord, regardant fixement à l’arrière, comme s’il eut cru entrevoir quelque chose. On n’entendait que le bruit des pas des matelots sur le pont, et le sifflement des vents dans les cordages.

— Quelqu’un là, ma longue-vue ! cria le capitaine.

— La voici, capitaine, dit Sir Arthur Gosford en se levant pour la lui donner.

— Pardon, merci, monsieur.

Le capitaine regarda quelque temps, balayant l’horizon de sa longue-vue et lui faisant décrire un cercle assez considérable.

— Rien, dit-il, en enfonçant avec la paume de sa main droite les tuyaux de la longue-vue les uns dans les autres ; j’avais cru apercevoir quelque chose.

— Hola, ho ! En avant là, un homme au haut du mât.

Un matelot monta dans le grand mât, et en quelques instants fut au grand cacatoës,