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UNE DE PERDUE

— Je voudrais bien savoir si le général prétend nous tenir ici encore bien longtemps, demandait un tout jeune homme encore, à un mulâtre d’une taille colossale.

— Piétro, ne t’impatiente pas ; tu en auras bien assez ! Dans dix ou douze jours nous pourrons commencer à nous préparer.

— Quoi ! faut-il attendre encore tout ce temps-là ! Ne pourrions-nous pas aller faire une toute petite visite aux environs de la Havane, par exemple, pour voir si nous ne rencontrerions pas quelques-uns de nos bons amis messieurs les Anglais ? S’ils ne sont pas toujours riches en or, ils ont souvent de certaines gentilles petites créatures, comme celle qui est prisonnière dans la case du général, et qui, depuis une semaine, est assez bête pour se laisser mourir de faim et se dessécher à force de pleurer, plutôt que de…

— Chut ! ne parle pas de la Française ; le général en est fou d’amour, il en est jaloux comme un tigre, et ce qui me surprend, c’est qu’il me semble, foi d’honnête homme, trembler comme s’il avait peur, quand il lui parle.

— Eh bien, parlons d’autre chose, ça vaudra peut-être mieux en effet. Pourquoi le général n’est-il pas venu nous voir depuis deux jours ? Il me semble qu’il ne faut pas tant de temps pour aller à Matance ? et sa Française, s’il l’aimait tant… Ah ! c’est vrai j’oubliais, il n’en faut pas parler ! Mais après tout, nom d’un tonnerre, pourquoi n’en parlerais-je pas moi ? Qui est-ce qui m’empêchera ici ?

— D’abord la prudence ; en second lieu le respect pour le sexe ; en troisième lieu, et le mulâtre regarda fixement Piétro dans les yeux.