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rait jamais l’aimer ; que son cœur à elle, ne lui appartenait plus, qu’il était pour un autre. » Ah ! que ne l’a-t-elle dit dès les premiers jours : que ne l’a-t-elle renvoyé aussitôt qu’elle l’eut connu : et qu’elle eût de pleurs et de remords !… Avec son amour, une jalousie avait germé, épouvantable dans le cœur de l’étranger. Il ne pouvait souffrir que quelqu’un parlât à Léocadie. Sans cesse obsédée de ses importunités, elle déclara un soir à sa tante qu’elle ne voulait plus le voir, et la pria de le lui dire. Oh ! comme il avait coûté à son cœur de faire cette réception à l’étranger. Si elle n’eut consulté qu’elle seule, peut-être ne l’eut-elle pas fait. Mais son devoir l’y obligeait ; c’est à ce devoir qu’elle obéit.

Dès que l’étranger eût appris de la tante de Léocadie que c’en était de ses espérances, qu’il ne la reverrait plus jamais ; dès ce moment il jura dans son cœur d’enfer, de se venger de celle qu’il avait tant aimée, mais qu’en ce moment il sacrifiait à sa fureur et sa jalousie.

Il avait juré de tirer vengeance épouvantable, et il ne songea plus dès lors qu’à préparer les moyens de consommer son abominable dessein. Et Léocadie, toujours innocente, toujours calme au milieu de l’orage qui se formait sur sa tête, ne pouvait pas même s’imaginer qu’on put lui vouloir le moindre mal ; tant la haine et la vengeance étaient une chose étrangère à son âme.

En partant l’étranger avait voulu voir Léocadie, et lui avait dit avec un air de froide ironie :

Regarde le soleil, comme il est rouge ; il est rouge comme du feu, comme du sang, oui, comme du sang qui doit couler. Et il l’avait quittée brusquement.


V.

la vengeance.


Cependant celui qu’elle aimait, celui que son cœur avait choisi parmi tous les autres, s’était approché de Léocadie. Et lui aussi, il lui avait déclaré son amour ; et il était payé du plus tendre retour. Depuis deux lunes ils s’étaient confiés leur tendresse mutuelle, et les nœuds sacrés de l’hymen devaient bientôt les unir de liens indissolubles. Deux lunes s’étaient écoulés paisibles, sans qu’ils eussent entendu parler de l’étranger, qui pourtant ne cessait de veiller avec des yeux de vautour sur le moment de saisir sa proie.