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traits ne sont pas sensiblement altérés. Placés en file, debout ou assis, le visage découvert, vêtus de robes brunes ou de celles de leur ordre, et de leurs dignités si ce sont des moines ou des prêtres, l’ensemble de cette légion de morts est d’un aspect qu’on ne saurait rendre.

— Un peintre, nous dit M. Scholl, voulut passer une nuit dans ces catacombes pour y étudier à l’aise et y faire l’esquisse d’un tableau. Les moines se souciaient assez peu de lui en donner la permission, mais enfin il l’obtint, ainsi que celle de conserver de la lumière.

Il régnait un profond silence sous ces vastes voûtes, et l’immobilité de ces milliers de figures dont on voit les mains et les pieds desséchés dépassant les robes, a quelque chose qui ne laisse pas que d’impressionner, même lorsqu’on est en compagnie. Mais notre peintre ne s’intimidait pas facilement ; il commença donc paisiblement son travail, et il avait déjà esquissé quelques figures, lorsqu’il crut en voir remuer une. Il pensa que c’était l’effet d’un jeu de lumière ou d’une erreur de sa vue, mais bientôt celle-là même qu’il dessinait agita la tête à son tour comme pour lui faire signe. Était-ce une plaisanterie et quelque moine malin qui cherchait à l’effrayer ? Telle est la demande qu’il se fit. À un léger craquement, il porta les yeux plus loin ; toute une file était en mouvement : les uns levaient les pieds comme s’ils eussent voulu marcher ; d’autres agitaient les mains par un trépignement d’impatience ; enfin toutes ces têtes, par une action simultanée, semblaient le menacer.

Notre peintre fit d’abord bonne contenance ; il se crut le jouet d’un rêve, mais il était impossible de s’y tromper. On ne pouvait même pas croire à une mystification,