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vent, se disant missionnaires, contribuaient, par leurs discours imprudents, à troubler l’ordre : partout des orgies de sang.

Je regrettais la Provence pour son climat et pour les quelques amis que j’y laissais, mais je ne regrettais pas son peuple, le plus détestable de tous en révolution.

La Suisse était aussi fort surexcitée : en ces années 1814, 1815, 1816, tout le monde y était en armes, et je vis à Genève de fort belles revues et des exercices à feu où l’on n’épargnait pas la poudre, mais on avait le bon sens de ménager le plomb, et l’on ne s’égorgeait pas : c’était quelque chose et, pour moi, après ce que je venais de quitter, un véritable bien-être.

Cependant je n’étais pas tranquille sur ce qui m’attendait en Bretagne ; on disait qu’on y avait recommencé une espèce de chouannerie ou de réaction contre les hommes des Cent Jours ou ceux qu’on nommait dans le Midi les castagniers[1], et ailleurs les bonapartistes. Si l’on ne s’y tuait pas, comme à Marseille, à coups de couteau, si l’on n’y pendait pas au réverbère, on s’y fusillait au coin des bois, selon l’ancienne méthode vendéenne. C’était donc dans la fusillade que j’allais retomber, et je commençais à en avoir assez. Depuis dix ans, il semblait que cette atmosphère de poudre me suivait : à la fin de 1804, en quittant la maison paternelle, je l’avais trouvée en Ligurie et en Piémont où le brigandage florissait encore, puis successivement, et d’année en année, en Toscane, en Calabre, en Dalmatie,

  1. Mangeurs de châtaignes ; c’était ainsi que les Marseillais désignaient les Corses.