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et combien de gagnants ? — Un sur cent mille. — J’ai donc fait ici comme mes confrères en Apollon ; mais je puis dire aussi, pour ma défense personnelle, que si je me suis borné à trois brûlis, je les ai faits en conscience : tout ce qui sentait l’hémistiche et la rime y a passé, ne conservant comme souvenirs que quelques brouillons de lettres où il n’y avait pas quatre mots d’orthographe. Je n’en mettais que lorsque j’écrivais à mon père, et je n’y parvenais qu’armé du dictionnaire. Les participes surtout, que je n’y trouvais pas toujours, me donnaient un terrible embarras : je tournais mes phrases de manière à en mettre le moins possible, et je faisais en sorte de rendre illisibles ceux dont je n’étais pas sûr. Que de fois aussi j’ai appelé les pâtés à mon aide ! que dis-je, cela m’arrive encore aujourd’hui, et je leur dois bien des actions de grâces pour les services qu’ils m’ont rendus par leur ombre salutaire.

Mais en voilà assez et même trop sur ce sujet dont je ne voulais dire qu’un mot, c’est-à-dire que j’étais loin d’être un savant lorsqu’en 1816 je fis, en touriste, mon entrée à Genève. J’arrivais de la Provence, où j’avais passé une partie de 1815. Les Provençaux, dans ces jours néfastes, hébétés de royalisme, étaient devenus féroces, et j’ai vu là bien des horreurs : c’était l’ère des Truphémy, des Trestaillon. Nîmes, Avignon, Marseille étaient peuplés d’assassins que les femmes encourageaient et proclamaient héros de la foi. Ces furies royalistes, parmi lesquelles on citait de grandes dames et des jeunes filles appartenant aux premières classes de la société, valaient les tricoteuses de Robespierre et les lécheuses de guillotine. Des prédicateurs en plein