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GASPARDO.

lazzarone, jouant aux dés sur la piazza même, en plein soleil… quand des enfans se querellaient ou se battaient, c’était toujours Piétro qui les excitait… quand les gens du guet étaient battus à Plaisance, c’était encore Piétro qui battait les gens du guet… Maintenant on ne voit plus Piétro jouer, en chantant, sur la piazza… ou rangeant les enfans en bataille, ou se révoltant contre le guet… Et pourquoi tant de sagesse ?

PIÉTRO. Il y a trois mois, pasteur Sanutto, j’avais une sœur jeune et pure, folle et joyeuse comme moi… supportant gaîment la misère, et priant saintement la madone voilée des jeunes filles… Depuis lors, le duc Visconti, gouverneur de Plaisance, a séduit et déshonoré ma sœur. Piétro le lazzarone souffre, et ne joue plus aux dés… ma sagesse… c’est du chagrin.

LE PASTEUR, à part. Encore Visconti !…

(A Raphaël.) Et vous, Raphaël le laboureur, autrefois, la procession du Saint-Sépulcre ne sortait jamais sans vous trouver agenouillé sur son passage… et ne demandez-vous plus aux frères leur bénédiction ?

RAPHAËL. Autrefois, mon père, j’aimais d’amour une jeune fille belle et pure, la sœur de Piétro… nous devions nous unir au prochain jour de Noël, et je rendais grâce à Dieu ; mais le gouverneur Visconti a séduit et déshonoré ma fiancée, je n’ai plus de grâce à rendre. Raphaël le laboureur n’a plus rien à espérer.

PIÉTRO. Frère ! ton espoir et ma gaîté reviendront le lendemain de la vengeance !

RAPHAËL. Ta gaîté, peut-être… mon espoir, jamais !

CATARINA. Pauvre Raphaël !

LE PASTEUR. Il y a dans le ciel une justice égale pour tous, mes enfans… ne doutez pas de la Providence, elle vous vengera.

PIÉTRO. Oui, pasteur… la Providence… et mon stylet.

CATARINA. J’entends, je crois, Gaspardo.

(Elle sort à sa rencontre.)

GASPARDO, dans la coulisse. Attendons d’abord donc !., attends donc !.. laisse-moi me débarrasser de ce sac, de ce filet.

(Il entre et dépose son sac et son filet.)

SCENE III.

Les Précédens, GASPARDO.

GASPARDO. Maintenant viens m’embrasser… (Il l’embrasse.) et donne-moi mon petit, que je l’embrasse à son tour.

CATARINA. Il dort.

GASPARDO. A-t-il souffert ?

CATARINA. Un peu… mais le pasteur Sanutto m’a rassurée.

(Elle désigne le pasteur.)

GASPARDO, l’apercevant. Salut et merci au bon pasteur. (Voyant Piétro et Raphaël.) Vous voilà, compagnons… vous m’attendiez ?…

PIÉTRO. Oui, tu es resté bien tard à la ville.

GASPARDO. C’est qu’il s’y est passé d’étranges choses…

RAPHAËL. Quoi donc ?

GASPARDO. Des arquebusades et des coups de rapière.

PIÉTRO. Vraiment ?

(Tout le monde entoure Gaspardo[1].)

GASPARDO. Les compagnies de condottières qui ont accompagné à Plaisance le gouverneur et la noblesse de Milan se sont révoltées.

LE PASTEUR. Et pourquoi ?…

GASPARDO. Parce que messieurs les nobles dépensent tant de sequins en fêtes et festins, qu’il ne leur en reste plus pour payer la solde ; et sous la conduite d’un des leurs, dont on ignore encore le nom, trois cents condottières ont maintenu pendant sept heures le feu contre deux mille archers…

PIÉTRO. Et enfin ?…

GASPARDO. Ils ont été forcés de se rendre : les munitions leur manquaient ; mais au moins le gouverneur aura reçu une bonne leçon.

LE PASTEUR. Et qui nous coûtera cher à tous… Que Dieu vous garde ! (Bas à Catarina.) De la prudence, ma fille, je reviendrai.

CATARINA, prenant une lanterne. Je vais vous éclairer, mon père, jusqu’au détour de la route.

(Gaspardo, Raphaël et Piétro accompagnent le pasteur jusqu’à la porte ; il sort avec Catarina.)

SCENE VI.

PIETRO, GASPARDO, RAPHAËL.

PIÉTRO. Nous sommes seuls ?

GASPARDO. Oui, qu’as-tu à me dire ?

PIÉTRO. Frère, depuis plusieurs jours on a vu Visconti rôder auprès d’ici.

GASPARDO. En es-tu sûr ?

PIÉTRO. Raphaël a rencontré ce soir son valet Riccardo.

  1. Catarina, le pasteur, Gaspardo, Piétro, Raphaël.