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GASPARDO.

ACTE PREMIER.

Une salle brillante du palais Contavini à Milan, précédant d’autres salles somptueuses et décorées pour une fée. A droite une fenêtre ; au fond, grandes portes ouvertes. Table de jeu, lustres, etc.

SCENE PREMIERE.

MICHIELLI, BRABANTIO.

(Michielli regarde par la fenêtre ; Brabantio entre par le fond, et descend la scène en le considérant.)

BRABANTIO. Salut à Michielli.

MICHIELLI, se retournant avec hésitation. Saint, monseigneur.

BRABANTIO, riant. Tu m’appelles monseigneur !… Par saint Jean ! tu reconnais bien mal un ancien condottier de la bande invincible, dont nous faisions tous deux partie quand le vieux Sforce la commandait.

MICHIELLI. Eh ! n’est-ce pas Brabantio ?

BRABANTIO. Lui-même !

MICHIELLI. Et comment te trouves-tu, ce soir, vêtu comme un seigneur, et invité au bal du procurateur Contarini ?

BRABANTIO. Hélas ! mon ami, depuis dix ans que notre bande a été dissoute par l’élévation de notre chef à la dignité de connétable et général des armées milanaises, j’ai tout fait, excepté fortune… et je suis maintenant espion de notre souverain Marie Visconti.

MICHIELLI. Et c’est comme espion que tu es admis à la fête de ce soir ?

BRABANTIO. Précisément.

MICHIELLI. Je ne m’étonne plus.

BRABANTIO. Que veux-tu, Michielli… il faut bien gagner sa pauvre vie… Et toi, que fais-tu ?

MICHIELLI. Je suis guide dans les gardes particuliers du procurateur, et par anticipation, chef des familiers du palais Visconti… j’arrête et je mets à la torture tous ceux que tu dénonces.

BRABANTIO. Tu fais là deux vilains métiers…

MICHIELLI. Que veux-tu, Brabantio, il faut bien gagner sa pauvre vie.

BRABANTIO. C’est trop juste !…

MICHIELLI, regardant dans le fond. Voici le procurateur… Je crois vraiment, Brabantio, qu’il est avec sa femme, la jeune comtesse Blanche de Visconti.

BRABANTIO. Cela te surprend ?

MICHIELLI. Oui, parce que depuis trois mois qu’ils sont mariés, la comtesse a toujours habité sa villa sur le bord du lac… Le procurateur n’est jamais sorti de ce palais, et je suis tenté de croire qu’ils se parlent aujourd’hui pour la première fois.

SCENE II.

Les Précédens, LE PROCURATEUR CONTARINI, BLANCHE DE VISCONTI, LE FRANCISCAIN RAPHAËL.

CONTARINI, entrant par le fond avec Blanche. A peine arrivée, comtesse, vous vous occupez déjà de votre prompt départ ?

BLANCHE. Comte, j’ai cédé à vos désirs et aux instantes prières de votre favori Riccardo, en quittant ma solitude au bord du lac, ma madone et mon prie-Dieu, pour venir à cette fête… Il est juste qu’à votre tour vous cédiez aux miennes, en me permettant d’aller retrouver bientôt ce que je n’ai quitté qu’à regret.

CONTARINI. Je cède, madame… mais je m’étonne souvent, je l’avouerai, que vous, la fille du duc de Milan, et la femme du procurateur de Saint-Pierre, soyez si rare au palais Contarini. (Aperccoant Brabantio.) Ah ! vous voilà, Brabantio ! (Brabantio s’incline. A Michielli.) Et que veut Michielli ?

MICHIELLI. Seigneur, combien d’arquebusiers prendront les armes pour saluer, à leur arrivée, le connétable et le commandant Francesco Sforce ?

CONTARINI. Deux compagnies.

MICHIELLI. Autant que pour le duc de Milan ?

CONTARINI. Nous donnons une fête cette nuit à cause de la victoire remportée sur le comte de Carmagnola… Le commandant Francesco commandait notre armée… le peuple attribue à l’habileté du chef un succès qui n’est dû qu’à la bravoure de nos soldats… et nous voulons, ce soir, mentir avec le peuple, et recevoir les Sforce avec une magnificence triomphale.

MICHIELLI. C’est bien, monseigneur.

CONTARINI. Maintenant va dire à Gaspardo, le patron de mes gondoliers, que je l’attends ici… allez. (Michielli et Brabantio sortent ; à Blanche.) Vous le voyez, comtesse… je vais donner des ordres pour votre départ.

BLANCHE. Je vous en remercie.

GASPARDO, entrant. Vous m’avez fait appeler, monseigneur ?…

CONTARINI. La comtesse retournera cette nuit même à notre villa ; qu’à minuit ses rameurs soient prêts, que sa gondole soit sous cette fenêtre.