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MAGASIN THEATRAL.

SCENE X.

GASPARDO, RAPHAËL et PIETRO accourant.

PIÉTRO. Frère !… nous venons t’embrasser avant de fuir !… j’ai lue Visconti !

GASPARDO. C’est impossible !

RAPHAËL. Je viens de pousser son cadavre dans les broussailles, au pied de la colline… il est mort.

GASPARDO, ramassant sa hache. Peut-être respire-t-il encore !… conduisez-moi près de lui !

PIÉTRO, l’arrêtant. C’est inutile… j’ai frappé droit au cœur.

GASPARDO, avec désespoir. Et je n’ai plus de vengeance !

PIÉTRO, stupéfait. Qu’as-tu donc, Gaspardo ?…

GASPARDO, tirant le rideau qui cachait sa femme. Voyez, frères !… voyez !…

PIÉTRO et RAPHAËL. Catarina !…

GASPARDO. Morte !… assassinée par le gouverneur !

PIÉTRO. Ah ! j’ai frappé trop tard !

GASPARDO. Par lui !… lui qui m’écbappe !… oh !… le sang !… le sang… m’étouffe !… (Il tombe dans leurs bras. Les deux autres s’asseyent près de la table.) Oh ! mon Dieu ! je n’ai plus rien au monde !… et je puis au moins mourir !

RAPHAËL. Et ton enfant, Gaspardo !… ton enfant…

GASPARDO, se soutenant. Je ne l’ai plus, frères !… je ne l’ai plus.

PIÉTRO, courant sous la voûte. Il n’est plus là !

GASPARDO. Tout-à-l’heure, un homme, poursuivi par la loi, est venu me demander secours… moi, qui, dans le délire, pressentais le meurtre et l’échafaud, je lui ai dit : Emporte ce pauvre enfant dans ta fuite… ma barque les a emportés tous les deux.

PIÉTRO. Quel est le nom de cet homme ?

GASPARDO. Son nom ?… c’est le porte-enseigne Jacoppo Sforce.

PIÉTRO. Le chef des révoltes !… sa tête est mise à prix.

GASPARDO. Il est sauvé… mais il emporte mon enfant.

PIÉTRO. Hâte-toi de l’atteindre… hâte-toi, Gaspardo !

RAPHAËL. Demain, frère, le corps du gouverneur sera trouvé… il nous faut fuir sans retard… partons tous trois, compagnons ; le ciel a fait de nous une trinité malheureuse, ne la brisons pas… Courons ensemble sur les pas du condottier, puis nous suivrons une route au hasard, et, s’il nous faut demander l’aumône en chemin, nous aurons plus de courage, en pensant que nous aurons un enfant à nourrir.

GASPARDO, se levant précipitamment. À Milan ! frères… à Milan !

RAPHAËL et PIÉTRO. Partons !…

GASPARDO, s’arrêtant près de sa femme. Mais, elle… mais Catarina !… Pauvre bien-aimée, demain, la charité publique te donnera un coin de terre dans le cimetière du pauvre… et le pasteur Sanutto bénira ta dernière demeure… Seigneur !… elle devait donc bien souffrir dans l’avenir, que vous l’avez rappelée vers vous au printemps de sa vie ?

RAPHAËL., s’agenouillant. L’ame du juste a sa place dans le ciel. Seigneur !… recevez son ame !

PIÉTRO., s’agenouillant. Seigneur !… recevez son ame !

GASPARDO., s’agenouillant. Seigneur !… Seigneur !… recevez son ame…

(Pendant les deux dernières phrases, des soldats ont garni le fond ; les trois estafiers sont entrés dans la cabane.)

SCENE XI.

Les Mêmes, Estafiers, Soldats.

UN ESTAFIER, frappant sur l’épaule de Gaspardo. Par ordre du gouverneur Visconti… déclarés tous trois complices des révoltés, vous êtes nos prisonniers.