Page:Bouchardy - Gaspardo le pêcheur.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
MAGASIN THEATRAL.

l’accompagner plus tard, que je veux que tu me suives à cette heure.

CATARINA. Je ne vous suivrai pas.

VISCONTI. Je t’y forcerai.

CATARINA. Jamais !

RICCARDO, s’approchant. Seigneur, pour entraîner la lionne dans le piège, l’adroit chasseur emporte d’abord ses lionceaux.

VISCONTI, se dirigeant vers la voûte. Ta as raison, Riccardo, j’emporterai l’enfant, et la mère me suivra.

CATARINA, qui a décroché le stylet, lui barrant le passage. N’entrez pas là, duc ! malheur, malheur ! si vous touchez à mon enfant.

VISCONTI. Armée !… Sachez, ma belle, qu’en nuit d’amour, le gouverneur Visconti porte une cotte de mailles à l’épreuve du fer, et qu’il rit de la femme qui s’arme contre lui.

CATARINA, effrayée. Au secours, au secours !

VISCONTI. N’appelez pas… les portes sont gardées… la mort à qui viendrait.

CATARINA, désespérée. Oh ! mais, je suis perdue.

VISCONTI. Comprends-tu maintenant qu’il faut me suivre ?

CATARINA. Grâce, monseigneur… je suis mère… grâce !

VISCONTI. Tu as repoussé mon amour, et tu demandes ma pitié ?

CATARINA, à genoux. Je vous la demande à genoux pour mon pauvre enfant.

VISCONTI. Je vous offre un asile à tous deux.

CATARINA. Mais un asile de honte et de désolation… Laissez-moi par pitié.

VISCONTI. Te laisser !… Sais-tu, Catarina, que je me suis abaissé jusqu’à être jaloux du pêcheur Gaspardo ?

CATARINA, se relevant. C’est mon époux, seigneur.

VISCONTI. Oui, ton époux maudit.

CATARINA. Mon époux, que Dieu garde !

VISCONTI. Qui pourtant te perdra.

CATARINA. Seulement, si je meurs.

VISCONTI. Et j’aimerais mieux te savoir morte pour tous, que vivante pour lui.

CATARINA, avec calme. Si vous me tuez, monseigneur, la femme de Gaspardo sera morte pure.

VISCONTI, furieux. Malédiction !

CATARINA. Dites plutôt miséricorde.

VISCONTI, avec rage. La vassale me défie !… A moi, mes estafiers !

CATARINA, désespérée. Seigneur, mon Dieu ! vous m’avez donc condamnée !

VISCONTI, aux estafiers. Qu’on entraîne cette femme.

CATARINA, fuyant dans le fond. Lâches, lâches !

VISCONTI. M’avez-vous entendu ?

CATARINA, aux estafiers qui se précipitent sur elle. Lâches ! (Se frappant de son stylet.) Vous m’emporterez mourante.

(Elle tombe dans, leurs, bras.)

VISCONTI, effrayé. Elle s’est frappée… la malheureuse !

CATARINA, mourante. Mon Dieu ! protégez mon enfant… Duc, sois maudit.

(Elle meurt.)

VISCONTI. Peut-être que des secours pourraient encore…

RICCARDO. Appeler du secours, monseigneur, serait tout révéler… Cette femme était folle.

VISCONTI. Mais, elle était si belle !

RICCARDO. Elle vous préférait un manant.

UNE VOIX, lointaine sur le lac.

Gai voyageur de nuit,
Rame sans bruit.


VISCONTI. Une voix !…

(Ils écoutent.)

Quand la femme sommeille,
Quand l’amour la réveille,
Et quand il est minuit,
Rame sans bruit,
Gai voyageur de nuit.


RICCARDO, parlant, tandis qu’on entend chanter au-dehors. C’est la chanson de Gaspardo ! Fuyons, monseigneur… suivez le bord du lac, et moi, le chemin de la colline.

VISCONTI, aux estafiers. Vous, messieurs, le justicier à des ordres à vous donner, hâtez-vous. (Leur jetant une bourse.) Votre silence vous est payé, partez. (Les estafiers sortent.) Demain, Gaspardo ne sera plus à craindre.

RICCARDO. Il approche, monseigneur… hâtons-nous.

VISCONTI. Partons.

(Ils sortent de deux côtés opposés. On entend tout près le refrain de la chanson. Gaspardo paraît dans sa barque, s’arrête, en descend, et entre dans sa cabane en appelant.)

SCENE VII.

GASPARDO, CATARINA, morte.

GASPARDO. Catarina… me voilà de retour… ne te désole plus… Où es-tu donc ? (La voyant à terre.) Elle dort… Croyez donc les femmes… « Quand je suis seule, Gaspardo, mes nuits sont si triste ; mon in-