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GASPARDO.

je m’y résigne… D’ailleurs, j’ai donné ma parole… Adieu… (Revenant près d’elle.) Allons, ne te désole pas… voyous… laisse-moi partir heureux… et viens m’embrasser. (Il l’embrasse.) Je reviendrai bientôt.

(Il sort.)

SCENE VI.

CATARINA, seule, puis VISCOINTI, RICCARDO, un Estafier.

CATARINA. Il est parti, et maintenant, j’ai peur… Si je le rappelais… si je lui disais tout… Oh ! non, n’appelons pas un malheur qu’avec l’aide du pasteur nous parviendrons peut-être à éviter, et prions la madone en attendant son retour.

(Elle s’agenouille devant une petite vierge. Un estafier entre silencieusement et fait signe à Visconti, qui entre de la même manière, suivi de Riccardo.)

VISCONTI, à l’estafier à demi-voix. Maintenant, veillez à cette porte. (L’estafier sort. A part.) Respectons sa prière. (A Riccanio, à demi-voix :) Tu es bien sûr, Riccardo, que Gaspardo n’est pas ici ?

RICCARDO, de même. Je viens de l’en voir sortir, et prendre le chemin de la taverne, où il va, comme d’habitude, trouver ses deux compagnons.

VISCONTI. C’est bien. (S’approchant de Catarina, et élevant la voix.) Que vous êtes belle ainsi, Catarina !

CATARINA, effrayée. Quelqu’un !… ce sont eux.

(Elle se lève.)

VISCONTI. Pourquoi vous effrayer ?… Dites-moi, pour qui donc priez-vous avec tant de ferveur ?

CATARINA. Je priais pour mon époux et mon enfant, et je demandais à Dieu la force et l’espoir.

VISCONTI. Et dans cette fervente prière, pas un mot pour le prince ?

CATARINA. Chaque jour, les prêtres prient pour vous, monseigneur.

VISCONTI. Oh ! je donnerais toutes leurs prières pour une seule de vous, qui remplissez ma pensée ; car, tandis que la femme du peuple oublie son souverain, le souverain se souvient de la femme du peuple. Je suis sans cesse occupe de vous, Catarina ; je maudis votre passé ; je vous plains dans le présent, et je lis dans votre avenir ; dans le passé, je vous vois cruellement jetée aux mains du grossier Gaspardo.

CATARINA. C’est moi qui l’ai choisi, monseigneur.

VISCONTI. Et cette première faute, Catarina, entraînera plus tard le repentir, comme le ferait un péché mortel. Dans le présent, je vous vois tristement abandonnée par cet homme qui vous délaisse pour la taverne ; et dans l’avenir, je vous vois mère d’un enfant qui, suivant la route pernicieuse que lui aura tracée son père, vous rendra malheureuse… et je dis alors : Mon Dieu ! faites que Catarina comprenne mon amour et ma pensée ; qu’elle suive un noble seigneur qui s’agenouillera devant sa beauté qui se fane inaperçue… et nous élèverons tous deux son enfant, qui grandira, riche de vertus et d’espérance.

CATARINA. La vertu n’est pas à votre cour.

VISCONTI. Vous la jugez bien hardiment, madame.

CATARINA. Je la juge d’après vous, seigneur, vous qui venez ici, souillant les lois de la religion et de l’humanité, pour arracher au pauvre homme sa femme et son enfant… tout ce qu’il aime après Dieu.

VISCONTI. Eh bien ! oui, la beauté de Catarina a mis au cœur du prince un amour coupable, peut-être, mais un amour dévorant et profond… et je vendrais pour toi, femme, ma gloire, mes titres et mon ame. (Arrachant son collier, et le jetant à ses pieds.) Je donnerais pour toi ce collier que le pape a béni… Viens, obéis une fois au maître qui désormais t’obéira toujours.

CATARINA, avec fierté. Il vous serait plus facile, monseigneur, de vous faire suivre par la statue de marbre qui se tient debout sur la tombe de votre mère, que par l’épouse de Gaspardo.

VISCONTI. La statue me suivrait, si je la faisais porter derrière moi par mes gens.

CATARINA, après avoir regardé le stylet. Mais la femme résisterait.

VISCONTI. Peut-être pas, si je lui disais : Catarina, dans quelques jours, il te faudra mendier.

CATARINA, vivement. Avec Gaspardo ?

VISCONTI. Non, seule.

CATARINA, effrayée. Que voulez-vous dire ?

VISCONTI. Je veux dire que Gaspardo, compromis aujourd’hui, sera proscrit demain.

RICCARDO, à part. Il se fâche enfin !

CATARINA. C’est infâme, monseigneur… c’est injuste… mais je suis préparée à tout… il n’y a pas de loi qui puisse empêcher la femme d’un proscrit de l’accompagner… je suivrai Gaspardo.

VISCONTI. Et c’est pour t’empêcher de