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DES SAVANTS

ne parviennent pas à reproduire les phénomènes. Je ne soutiens pas que l’esprit de critique est le monopole des étrangers ; la conclusion est toute différente. Entre les diverses nations existe une telle rivalité qu’une découverte, faite sous une longitude, n’est reconnue sous une longitude différente que si l’on ne peut la contester ; tant mieux pour la science. Mais si la découverte est l’œuvre d’un homme connu dans son pays pour ses travaux antérieurs, c’est parmi les nationaux une course à l’approbation qui mériterait une autre épithète si je n’étais pas extrêmement modéré dans mes appréciations (comme chacun sait).

Dès qu’il fut établi que les étrangers s’obstinaient à nier, un phénomène facile à prévoir se produisit en France : un groupe de physi ciens qui jusque-là gardait le prudent silence de Conrart, déclara qu’il ne voyait rien ; bonne occasion de faire une note pour raconter ses insuccès, ce qui devenait sans danger maintenant que décidément l’existence était douteuse.. Comme le premier groupe était trop avancé pour reculer, on vit en présence deux partis qui se firent une gentille petite guerre : les gens sages se tordaient et marquaient les points.

En septembre 1904 parut dans la Nature anglaise une lettre traduite en octobre dans la Revue Rose, lettre qui mérite qu’on la préserve de l’oubli : W., savant américain, s’y vante d’avoir été reçu par B. et de l’avoir mystifié.

Le procédé serait défendable si, après la mystification, W. avait pris B. entre quatre-s-yeux, l’avait prévenu et lui avait montré son erreur ; mais W. se privait ainsi d’une lettre sensationnelle.

Savants, méfiez-vous des visiteurs !

Puisque W. était reçu, on lui reconnaissait implicitement le droit de dire son opinion, mais non le droit de modifier subrepticement l’installation qu’on lui présentait. Voici maintenant comment W. s’exprime : « Et je découvris ultérieurement que le fait d’ôter le prisme (nous étions dans une pièce obscure) ne parut apporter d’ob stacle en aucune manière à la localisation des maxima et des minima dans le faisceau des rayons déviés (!) » Le point d’exclamation est dans la Revue Rose ; je n’ai pas la Nature sous les yeux.

Plus loin, W. substitue un morceau de bois de même grandeur et de même forme à la lime qui devait produire le phénomène ; pour rendre vraisemblable sa supercherie, il prévient que « la pièce était très faiblement éclairée par un bec de gaz allumé très bas ».

Évidemment les savants ont de belles âmes ! Et la Revue qui rapporte ces gentillesses, loin de s’indigner, n’a pour ces méthodes qu’une phrase à double sens qui peut aussi bien tomber sur B. que sur W. : « Mais encore W. aurait mis en défaut, ce qui serait extrêmement grave, les expérimentateurs qui cherchaient à lui montrer la réalité de ces radiations (N. de la R.). »