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de revolver sur la blessée et rejeter l’arme loin de lui.

Legay résolut de continuer son système de terrorisation à outrance ; mais avant tout il fallait se débarrasser du rival dangereux : le chevalier d’Arsac. Il fit enlever M. Poiroteau, prit son déguisement et attira le chevalier dans un guet-apens.

Il se croyait dès lors libre à jamais. Tout lui souriait : le soir même la dot de sa femme était déposée dans une enveloppe, derrière le buste de Jupiter. Subtiliser un objet quelconque, était pour le gentilhomme-cambrioleur l’enfance de l’art. Sous prétexte de faire l’inspection de la chambre, Legay fureta partout : il prit l’enveloppe précieuse en main et la remit en place ; mais ce geste avait suffi pour qu’il y fît adhérer un cachet auquel était attaché un fin et long fil noir dont il tint l’autre extrémité en main.

Tout en parlant, il profita de l’obscurité pour tirer à distance la fameuse enveloppe vers lui, tout comme on tire un poisson au bout d’une ligne. Ses compagnons n’y virent que du feu et l’on sait que le commissaire n’était pas loin d’imputer à une main invisible le vol de l’enveloppe. C’était ce que Legay appelait « un petit tour de prestidigitation à l’usage des gens du monde ».

La possession de la dot avait rendu au gentilhomme-cambrioleur toute sa belle humeur. Désormais sa femme lui semblait adorable, et puis il devait hériter plus.

« Morbleu ! pensa-t-il, il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or. Maintenant que le vrai d’Arsac est mort, je n’ai plus rien à craindre. Il ne me reste plus qu’à vivre paisiblement dans sa peau et à devenir un vrai modèle ».

D’où la conversation délicate qu’il eut avec le baron de Carteret.

Legay triomphait, il était aux nues. Mais il avait compté sans ce damné Gascon qui devait ressusciter d’une façon si inopportune.

Il ne s’expliquait pas comment d’Arsac avait pu briser les murs de granit de sa prison. Le chevalier, au cours d’un interrogatoire, voulut bien le lui dire. Il expliqua comment le cambrioleur avait commis une imprudence en mettant deux prisonniers dans un même sac. L’oubliette n’avait qu’une issue ; la trappe que ne pouvait atteindre un homme, mais qui était accessible à deux. Comment ? C’est bien simple. Le chevalier avait ordonné à M. Poiroteau de se mettre debout en faisant un échelon de ses mains. D’Arsac avait gravi cette échelle vivante, s’était haussé sur les épaules de son créancier et, les bras tendus, était parvenu à soulever la trappe.

— Morbleu ! fit Legay avec regret, je n’y avais pas songé.

— Vous avez été mauvais mathématicien, tout simplement, répliqua d’Arsac. C’est ce qui vous a perdu.

— Sans cette erreur, je triomphais, fit ironiquement le cambrioleur. J’avais été un si bon détective !

— Hé ! Mordious ! claironna d’Arsac, le meilleur détective de nous deux n’était pas celui qu’on pensait.

L’interrogatoire terminé, M. Poiroteau, l’homme pratique par excellence, suggéra au chevalier une idée :

— Monsieur le chevalier, vous avez fait le travail de M. Morin. Ne vous semble-t-il pas que vous pourriez réclamer au baron de Carteret des honoraires ?

M. Poiroteau, sachez que je ne fais jamais payer les services que je rends.

— C’est regrettable, murmura entre les dents le créancier. Nous serions millionnaires.

Disons pour terminer, puisque nous parlons de millions, que la précieuse enveloppe contenant la dot de Marguerite de Carteret avait été trouvée sur le faux Morin lors de son arrestation. Elle fut restituée au baron. Le mariage fut annulé, à la demande du chevalier, qui recouvra sa liberté avec une joie fort légitime et au désespoir de M. Poiroteau qui vit avec crainte baisser la valeur de ses créances.

Quand à Marcel Legay, il fut condamné à trente ans de prison.

En attendant prononcer cet arrêt, il remarqua cyniquement :

— J’ai déjà subi, sous des noms différents, vingt-deux condamnations. Les peines encourues par moi, à ce jour représentent au total 267 années de prison exactement ! Je n’espère pas vivre assez vieux pour payer jamais ma dette à la société.

Et il ajouta avec une pointe d’ironie :

— Je suis un homme dans le genre du chevalier d’Arsac : je roule mes créanciers.


Maurice BOUE.
— FIN —