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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Les bandits avaient d’abord loué, sous un nom d’emprunt, une vieille ferme abandonnée qui, ayant été bâtie sur les ruines d’un vieux château-fort, possédait des souterrains où l’on pourrait séquestrer des otages.

Cela fait, Legay, jugeant qu’il était indispensable d’avoir une intelligence dans la place, acheta à prix d’or l’intendant du château de Carteret, l’homme dont la cupidité et l’avarice étaient proverbiales. Avec l’aide de ses hommes ; le gentil-homme cambrioleur enleva la nuit son épouse la baronne Marguerite et lui fit écrire la lettre que l’on connaît. Il espérait parvenir ainsi à toucher le montant d’une dot que l’arrivée du chevalier d’Arsac compromettait fort et fuir après avoir rendu la liberté à sa femme.

La rencontre de M. Poiroteau éveilla ses soupçons et, par mesure de prudence, il emprisonna le créancier. Quelles ne furent sa surprise et sa rage en constatant que ses deux prisonniers avaient pris la clef des champs.

Il écrivit alors à sa femme une lettre de menace : il espérait la terroriser et toucher ainsi la rançon désirée. Hélas ! on déposa dans la ferme cette enveloppe qu’une prétendue main invisible enleva.

Les souterrains ayant une issue dissimulée derrière une cascade ; Legay, toujours prudent, prit ce chemin et trompa ainsi la vigilance des policiers qui surveillaient l’habitation.

Quelle ne fut sa fureur en s’apercevant que l’enveloppe était vide. Il résolut de se venger et pénétra dans le château de Carteret : il vit son épouse et la menaça. La jeune femme ayant jeté l’alarme, il s’enfuit comme on se souvient jusque dans le water-closset d’où il disparut si mystérieusement.

Comment avait-il pu fuir ? se demandèrent nos lecteurs. C’est bien simple : l’intendant son complice, était sur ses pas ainsi que deux domestiques. Seul l’intendant vit M. Marcel Legay ouvrir la porte du cabinet ; mais, au lieu de s’enfermer, le faux chevalier d’Arsac eut une idée subite : il sortit et se tint devant la porte fermée contre laquelle s’accula l’intendant. Tous deux s’écrièrent : « Il est là ! »

Les domestiques accourus sur les pas de l’intendant crurent voir dans le faux d’Arsac posté, menaçant, devant la porte, le véritable comte de Savignac, qui, pendant ce moment de désarroi, donnait des ordres dans une autre aile du château.

Avec un sang-froid remarquable, Legay-d’Arsac déclara qu’il allait chercher la police et recommanda que l’on tint bien enfermé le prisonnier dans le cabinet exigu. Il avertit, en effet, le commissaire, puis il se retira d’un pas dégagé. Il ne courait qu’un risque : rencontrer le vrai d’Arsac. Mais la chance lui sourit.

Le bruit s’était répandu que le fuyard était pris et il put sans encombre quitter le château.

Quelque temps après on s’apercevait de sa disparition incompréhensible. Ne parvenant pas à entrer en possession de la dot qu’il convoitait, il conçut un double projet : tuer sa femme pour en devenir l’héritier — il était marié sous le régime de la communauté des biens — et ensuite faire périr mystérieusement le véritable d’Arsac de façon qu’on ne pût contester ses droits.

La nuit, armé d’une carabine, il se cacha dans le parc du château, et tira sur Marguerite de Carteret ; mais la blessure n’était que légère. Sur les entrefaites, il apprit que le baron écrivait au détective Morin ; la lettre fut confiée à l’intendant qui, moyennant une forte indemnité l’abandonna au gentilhomme-cambrioleur. Celui-ci vit un moyen inespéré, tout en évitant la dangereuse présence du célèbre détective à Carteret, de pénétrer dans la place en maître.

Prendre un déguisement pour lui n’était qu’un jeu : il imita M. Morin et se présenta sous son nom au château, trompant ainsi jusqu’au bénévole commissaire. La nuit même, il proposa de veiller la jeune blessée.

Malheureusement le baron lui tint compagnie. Mais le faux Morin tenta un coup d’audace : ayant la certitude que jamais on n’oserait soupçonner le célèbre détective, il profita d’un moment où M. de Carteret avait la tête tournée vers le chevet du lit pour tirer un coup