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— Diable ! se dit-il, m’aurait-on donné pour compagnon un ours ?

Il s’approcha prudemment en brandissant sa lampe électrique. Dans un coin, il distingua une silhouette humaine.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

Pas de réponse. D’Arsac s’approcha de l’homme et s’aperçut qu’il était bâillonné : il le délivra aussitôt. Quelle ne fut pas sa surprise en constatant que l’être inconnu qu’il avait d’abord pris pour un ours n’était autre que M. Poiroteau.

— Vous ici ! s’écria-t-il, Mais que faites-vous donc dans cette galère ?

— Ah ! monsieur le chevalier, croyez-vous bien que je suis ici par agrément.

— Je le pense bien. Que vous est-il arrivé ?

— Je me promenais, lorsque j’ai été enlevé par des inconnus qui m’ont amené ici. L’un d’eux m’a fait déshabiller pour prendre mes vêtements.

— Oh ! je m’explique maintenant pourquoi l’autre Poiroteau vous ressemblait si bien. Il vous a étudié, vous a imité et a pris vos habits.

— L’autre Poiroteau, monsieur le chevalier ?

— Oui, monsieur, il paraît que vous prenez exemple sur moi : depuis qu’il y a deux chevaliers d’Arsac, il y a aussi deux M. Poiroteau. Mais continuez.

— Après m’avoir déshabillé, comme vous voyez.

— Il est de fait que votre tenue me semble un peu légère, même dans l’obscurité.

— Ils m’ont bâillonné et fait descendre ici.

— Dame ! c’était une mesure de précaution : il fallait éviter que le vrai Poiroteau ne tombât dans les jambes du faux.

— Il y a certes plus d’un jour que j’attends ici. Je meurs de faim et je me croyais perdu lorsque j’ai entendu la trappe qui s’ouvrait. J’espérais qu’on m’apportait à dîner.

— Et ce n’était que moi !

— Pensez-vous, monsieur le chevalier, que nous pourrons nous évader d’ici ?

— Hum ! je ne le pense guère.

Si les soupirs eussent eu le don de fendre le roc, celui que poussa M. Poiroteau l’eût certes délivré.

D’Arsac rassura à sa façon son compagnon.

— Consolez-vous, Monsieur Poiroteau, vous aurez l’honneur de voir comment meurt un chevalier d’Arsac !

— Hum ! j’aurais préféré le voir vivre.

— Il est vrai, monsieur, mais songez que ce spectacle vous eût coûté plus cher. Oubliez-vous que je suis votre débiteur et que tout débiteur vit aux dépens de son créancier ? Que cette pensée vous console et vous aide à mourir dignement.

Ce ayant dit, le chevalier fit l’inspection de l’endroit où il se trouvait, avec l’espoir de trouver une issue. Mais il constata avec déplaisir qu’il se trouvait dans une espèce d’oubliette taillée dans le roc. Toute tentative de fuite devenait vaine ; il en fit part à M. Poiroteau qui, se laissa tomber sur le sol en déclarant qu’il sentait déjà, dans son estomac torturé, les affres de la mort.

C’était en effet l’horrible mort par la faim qui menaçait les deux prisonniers.

. . . . . . . . . .

Pendant que se déroulaient les événements que nous venons de décrire, le baron de Carteret était dans une extrême perplexité. Devait-il accéder au désir de sa fille et remettre à l’aventurier qui avait épousé son enfant la dot qu’il réclamait ?

Il demanda l’avis de son épouse et du détective Morin qui, après quelques hésitations, finirent, par se rallier à l’avis de la comtesse de Savignac.

Il fut convenu que la somme d’un million et demi de francs en billets de banque serait mise sous enveloppe et déposée derrière le buste de Jupiter dans le boudoir indiqué par le faux d’Arsac ; mais cette somme, comme le fit remarquer le détective, servirait d’amorce pour mettre la main sur le bandit.