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Feuilleton du COURRIER DE SION
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— Je me suis muni d’une lampe électrique, dit M. Poiroteau. Je vais vous éclairer.

Tous deux s’engagèrent dans des grottes et arrivèrent dans les galeries souterraines.

— Voici, dit enfin M. Poiroteau, la grille derrière laquelle la comtesse de Savignac, votre épouse, fut emprisonnée. La galerie continue dans cette direction et aboutit à la ferme. Nous pourrions, si vous le voulez, sortir par là.

Les deux hommes se mirent en marche. Arrivés au bout de la galerie, M. Poiroteau se retira poliment pour livrer passage à d’Arsac. Celui-ci s’avança et tout à coup il vit le sol s’ouvrir sous ses pas. Il venait de mettre le pied sur une trappe habilement dissimulée. Il tomba en poussant, un « Mordious ! » formidable qui fit retentir les échos souterrains. Il était tombé dans une espèce d’oubliette.

— Éclairez-moi, monsieur Poiroteau ! ordonna-t-il.

— Voilà, monsieur, voilà, répondit M. Poiroteau en éclairant l’oubliette. Vous le voyez, vous êtes à une belle profondeur. Un autre que vous se serait rompu les os en tombant, mais vous ne sortirez tout de même pas vivant d’ici.

— Qu’est-ce à dire ?

— C’est-à-dire que vous êtes tombé dans un guet-apens, Monsieur le chevalier.

Le visage de M. Poiroteau ricanait sinistrement. Le chevalier ne reconnaissait plus la face benoîte et placide de son homme d’affaires.

— Ah ! vous plaisantez, maroufle ! cria le chevalier d’une voix menaçante. Je vous ordonne, Monsieur Poiroteau, de…

— Trêve de plaisanteries, Monsieur le chevalier. Je ne suis pas M. Poiroteau, regardez-moi donc. Je suis désormais le chevalier d’Arsac, le véritable, s’entend !

Et l’homme à la lampe électrique éclaira son propre visage : il enleva une perruque et une fausse barbe qui lui donnait, la ressemblance du créancier et il apparut sous une forme nouvelle :

— Ah ! ah ! ricana-t-il. N’ai-je pas le don des métamorphoses ? Je suis le chevalier d’Arsac, tantôt son créancier, tantôt un tout autre homme à ma guise. Et personne ne me reconnaît jamais.

— Quelqu’un te reconnaîtra, rugit le chevalier.

— Qui donc ?

— Moi.

Et au même instant une détonation retentit. Le pseudo-créancier poussa un cri de rage : une balle venait de l’atteindre au bras droit.

— Tu portes désormais ma marque de fabrique, bandit ! ricana à son tour d’Arsac, et je te retrouverai tôt ou tard.

— Tu ne me retrouveras jamais, chevalier ! gronda l’inconnu. Car je suis l’Homme-Protée, l’Assassin invisible, et comme tu vas emporter mon secret dans la tombe, je puis te dire franchement que je suis Marcel Legay, le gentilhomme-cambrioleur bien connu. Et maintenant adieu, malheureux chevalier, tu vas mourir abandonné et il ne restera plus qu’un chevalier d’Arsac, le seul, véritable : Moi ! Moi, qui me suis marié sous ton nom, moi qui vais toucher en ton nom une dot rondelette et vivre heureux et glorieux sous ta peau. Adieu ! chevalier ! Ci-gît le faux d’Arsac !

L’Homme-Protée referma soigneusement la trappe et se retira, tandis que d’Arsac poussait des rugissements dans le silence des solitudes souterraines.

Et soudain le chevalier heurta une ombre, qui poussait des gémissements sourds.