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— Je ne pourrais l’expliquer, monsieur le baron, du moins pour le moment. L’avenir nous apportera, je l’espère, quelque éclaircissement. Tantôt, quand j’ai inspecté la chambre, j’ai cherché en vain sur le parquet la trace du passage d’un être vivant.

— Ces traces auraient pu être indistinctes.

— Non, monsieur, aucune trace n’échappe à un détective digne de ce titre : aucun homme ne peut passer quelque part sans laisser un indice qui m’échappe.

— Quelqu’un pourtant a tiré.

— C’est hors de doute ; mais si cette version n’était pas contraire aux faits du domaine naturel, je croirais que le meurtrier est un homme invisible ou tout au moins un personnage qui dispose d’un pouvoir sortant des lois communes. Mais, je m’empresse de vous le dire, je ne crois pas à la magie et j’espère bien expliquer plus tard ce phénomène à présent inexplicable. Une main a tiré : cette main ne peut être qu’en chair et en os et appartenir à un être vivant.

— La main ! la main invisible ! s’écria tout à coup la comtesse, en proie à la fièvre.

— Calmez-vous, mon enfant ! dit le baron en se penchant vers elle et en lui faisant prendre un calmant.

Pendant ce temps, M. Morin songeait, les yeux perdus dans le vague. Enfin, il se leva, recommença ses investigations dans la chambre, examina à nouveau tous les objets.

— Rien, dit-il avec un geste découragé. Il ne nous reste plus qu’à attendre et à redoubler de prudence.

L’aube seule dissipa les craintes quasi superstitieuses et la fièvre de la blessée.


L’homme aux deux têtes


Le matin, on découvrit dans la boîte aux lettres du château une nouvelle missive adressée à la comtesse de Savignac. Elle était ainsi conçue :


« Madame,

Vous avez constaté que je dispose de pouvoirs terribles et que je puis vous frapper dans l’ombre. Je vous accorde un dernier délai de douze heures. Si ce soir à 8 heures je ne suis pas en possession de la somme que je vous ai réclamée, vous ne verrez plus se lever l’aube prochaine. J’entends que la dite somme soit remise sous enveloppe fermée derrière le buste de Jupiter qui se trouve dans votre boudoir. Nous serons seuls à connaître cette cachette. Inutile de vous dire que si vous faites à nouveau intervenir la police dans cette affaire, vous êtes perdue.

Votre époux. »


La jeune femme fit part de cette lettre à son père en le suppliant de déposer à l’endroit indiqué la somme qui lui sauverait la vie. Le baron lui demanda deux heures pour réfléchir.

Pendant ce temps, le chevalier d’Arsac recevait la visite de M. Poiroteau.

— Comment ! s’écria le Gascon. C’est encore vous ! Vous n’êtes donc pas encore parti ?

— Non, monsieur le chevalier, et je crois avoir bien fait. Figurez-vous qu’en errant dans le pays, j’ai découvert l’endroit par où les bandits ont fui du souterrain où je fus enfermé.

— Voilà une trouvaille intéressante. Je voudrais voir ça.

— Quand vous voudrez, monsieur le chevalier.

— Tout de suite, monsieur Poiroteau, tout de suite. Conduisez-moi.

Et le chevalier, après s’être armé, suivit son digne créancier. Celui-ci, au lieu de se diriger vers la ferme, prit un chemin qui les conduisit près d’une cascade derrière laquelle s’ouvrait un trou d’ombre.

— Voici l’autre issue, dit M. Poiroteau, je vais vous montrer par où il faut passer.

Le digne homme, ayant escaladé des rochers, passa derrière la cascade et pénétra dans l’ouverture qu’il avait désignée au chevalier. Celui-ci le suivit.