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Feuilleton du COURRIER DE SION
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La main invisible se manifeste.


Le lendemain matin, une main inconnue déposait dans la boîte aux lettres du château une missive adressée à la comtesse de Savignac. Celle-ci l’ouvrit et lut les lignes suivantes :

« Madame,

« Vous avez cru sage de vous évader du domicile que, usant de mon droit d’époux, je vous avais assigné provisoirement dans un but qu’il ne me convient pas d’expliquer ici. Dieu m’est témoin qu’en ce moment je ne nourrissais aucun mauvais dessein à votre égard. Je vous considérais comme un otage, sans plus. Aujourd’hui vous avez, de par votre volonté, changé la face des choses. Je perds de ce chef la somme de 1 million 500 000 francs. Or, notez bien ceci : j’entends que, avant vingt-quatre heures d’ici, c’est-à-dire avant demain, à 8 heures, cette somme soit déposée sous enveloppe sur la table de la première chambre du rez-de-chaussée de la ferme par où vous avez fui. Si vous n’exécutez ou ne faites exécuter l’ordre que je formule ici, vous paierez votre désobéissance de votre vie même. Les événements passés vous ont montré que tout subterfuge serait inutile et dangereux pour vous. Je tiens donc à vous dire que vous encourriez les rigueurs de ma vengeance, si vous avertissiez ou faisiez intervenir la police dans nos affaires privées. N’oubliez pas qu’une « main invisible » vous menace dans l’ombre et vous frappera si vous n’obéissez pas aveuglément à mes ordres.

Gaston Terrail de Bayard d’Arsac,
Comte de Savignac. »


Maguerite de Carteret montra cette lettre à son père. Celui-ci la lut à haute voix en présence du chevalier d’Arsac.

— Mordious ! s’écria celui-ci. Le misérable ose signer mon nom et, par les cornes du diable ! ajouta-t-il en examinant la lettre, il a même imité mon écriture et mon paraphe ! Le bandit doit bien me connaître ; aussi ne doit-il pas ignorer que s’il me tombe dans la main il est perdu.

On réfléchit sur le parti à prendre et, sur la proposition de d’Arsac, il fut décidé qu’on communiquerait la lettre à la police, que quelqu’un porterait dans la ferme une enveloppe vide et que l’on surveillerait attentivement le alentours pour surprendre l’audacieux signataire de la lettre ou les complices qui viendraient chercher la réponse.

Le chevalier insista pour être le messager qui irait déposer l’enveloppe vide à l’endroit indiqué.

Deux heures après, le baron de Carteret eut une conférence avec le commissaire de police. Celui-ci avait déjà placé quatre de ses hommes en surveillance autour de la ferme mystérieuse. Six autres policiers de Cherbourg devaient arriver vers midi. Il fut convenu que le chevalier d’Arsac porterait l’enveloppe l’après-midi vers 3 heures.

Tout fut exécuté suivant ce plan. Les six policiers de Cherbourg vinrent renforcer le cordon de surveillance en se dissimulant le mieux qu’ils purent autour de la ferme. À 3 heures, le chevalier d’Arsac arriva : il constata non sans quelque surprise que la porte était entr’ouverte. Il la poussa et, d’un pas ferme il pénétra dans la première chambre du rez-de-chaussée. Prêt à parer toute éventualité, il tenait la main droit en poche, l’index sur la gâchette de son revolver. Mais la chambre était vide.

D’Arsac déposa l’enveloppe sur la table et se retira.

Toute l’après-midi et toute la nuit les policiers attendirent. Ils espéraient à tout instant