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Feuilleton du COURRIER DE SION
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M. Poiroteau s’arrêta pour laisser passer les personnages qui accouraient dans sa direction. Quelle ne fut pas sa surprise en reconnaissant — ou tout au moins en croyant reconnaître — parmi ces coureurs nocturnes son estimable débiteur le chevalier d’Arsac.

— Monsieur le chevalier ! s’écria-t-il avec surprise. Vous ici ?

Et il salua avec respect le prétendu chevalier. Celui-ci s’arrêta et dévisagea le créancier.

— Pour qui me prenez-vous ? demanda-t-il d’un ton cassant.

— Pour qui je vous prends ?… fit Poiroteau, surpris, mais dame ! pour le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac, comte de Savignac. Ne me reconnaissez-vous donc pas, monsieur le chevalier  ?

— Non, qui êtes-vous ?

— Mais… monsieur le chevalier, je suis votre fidèle César Poiroteau, votre…

Le prétendu d’Arsac sembla fort embarrassé d’être reconnu ou tout ou moins simplement connu. Il observa avec méfiance M. Poiroteau et lui dit :

— Et que faites-vous ici ?

— Je me promenais.

— Vous vous promeniez, à cette heure !… Hum !… dites plutôt que vous espionniez.

Le prétendu d’Arsac se tourna vers ses compagnons et eut avec eux un entretien à voix basse.

— Vous allez nous suivre, dit-il d’une voix rude à M. Poiroteau. Nous allons vous bander les yeux ; si vous poussez un cri nous vous tuons.

— Mais, monsieur le chevalier… voulut protester le créancier.

— Silence ! ordonna son interlocuteur.

M. Poiroteau se laissa bander les yeux et conduire, en pensant :

— Qu’est-ce qu’il m’arrive ?… M. le chevalier d’Arsac serait-il devenu fou depuis son mariage ?… ou voudrait-il, ne pouvant supprimer ses créances, anéantir son créancier ? Non, je ne le crois pas capable d’une telle monstruosité !… C’est qu’il est fou furieux !…

Et, les yeux toujours bandés, M. Poiroteau avançait dans les ténèbres. On lui fit gravir des marches, descendre des escaliers. Enfin, on lui enleva son bandeau.

Le pauvre créancier s’aperçut qu’il était dans un cachot humide éclairé par une torche résineuse. Quatre hommes l’entouraient, parmi lesquels le chevalier d’Arsac.

— Ah ! monsieur le chevalier !… gémit-il, que comptez-vous faire de moi ?…

— Vous le saurez plus tard, maroufle ! en attendant, sachez que si vous criez, ou tentez de vous évader d’ici, vous vous exposez à la mort.

— Mais, monsieur le chevalier, j’espère bien que vous ne comptez pas me séquestrer.

— C’est précisément ce que je compte faire… en attendant mieux. Vous méditerez ici sur les inconvénients qu’il y a à se promener seul dans les bois à une heure tardive.

— Grâce ! grâce !… implora M. Poiroteau, en se jetant à genoux.

Mais le chevalier avait fait un signe autoritaire à ses compagnons et il se retirait avec eux.

M. Poiroteau l’entendit déclarer, en partant : « Cet homme pourrait être dangereux ; il est prudent de le garder ».

Il voulut protester ; mais une lourde porte se referma devant lui.

Le créancier poussa une lamentation inouïe, un dernier appel, une suprême supplication et il tomba anéanti sur le sol humide.