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une dot rondelette, il se fera un devoir de me payer les cent quarante-six mille trois cent un francs 37 centimes, rectifia respectueusement M. Poiroteau.

— Deux cent quarante-six mille s’écria d’Arsac étonné.

— Hélas, monsieur le chevalier, votre voyage en Amérique m’a coûté un peu plus de 114 000 francs.

— C’est vrai, j’oubliais, approuva le chevalier conciliant. Au fait, vous avez le compte sur vous.

— Le voici ! s’empressa M. Poiroteau en tendant un carnet à son interlocuteur.

— C’est un peu long à lire, remarqua d’Arsac.

— Croyez bien, Monsieur le chevalier, que le compte est rigoureusement exact. Je ne voudrais pas vous tromper d’un sou.

— Je sais, je sais, Monsieur Poiroteau. Cela n’a d’ailleurs aucune importance puisque je ne dispose pas actuellement de la somme nécessaire au paiement.

M. Poiroteau roula des yeux désespérés.

— En réalité, continua d’Arsac, je n’ai jamais songé à faire un mariage d’intérêt.

— Monsieur le chevalier veut-il me permettre de lui faire remarquer qu’il résulte de renseignements précis qui me viennent de source autorisée que Mme la comtesse son épouse lui apporte une dot d’un million cinq cent mille francs ?

La petite somme qui m’est due est de bien peu d’importance à côté de ces chiffres.

— Sans doute, M. Poiroteau, mais je vous répète qu’il y a méprise : Je ne suis pas marié comme l’annoncent les journaux.

— Oh ! monsieur le chevalier, j’espère bien que vous ne m’avez pas laissé faire ce voyage en vain. Songez donc que j’ai quitté Paris hier. J’ai passé la nuit à Cherbourg et ce matin, à la première heure, je suis parti dans le seul but de vous voir… de vous présenter mes hommages.

— Monsieur Poireateau, trancha le chevalier impatienté, vous savez depuis longtemps que je ne permets à personne de mettre ma parole en doute, ni de juger mes actes. En conséquence, je vous permets de vous retirer.

Et le chevalier, tournant les talons, laissa M. Poireateau tout interloqué.

— Pas marié ! murmura-t-il désespéré. Quelle catastrophe ! Et moi qui ai fait le voyage à mes frais ! Mais je vais les porter au compte de M. le chevalier.

Il ouvrit son carnet et écrivit quelques chiffres.

— C’est égal, murmura-t-il en se retirant, je ne serai pas venu ici pour rien. Je vais voir le pays, me renseigner et si M. le chevalier n’est pas marié… hum ! il n’est pas trop tard… on pourrait peut-être y remédier… Je vais réfléchir à tout cela.

Et le créancier quitta le château en songeant profondément.

Pendant ce temps d’Arsac était rentré dans la salle à manger où l’attendaient le baron et la baronne de Carteret. Ceux-ci étaient dans la consternation ; ils venaient d’apprendre que leur fille unique avait disparu.

— Où est-elle ? gémissait la baronne. Se serait-elle enfuie ? L’a-t-on enlevée ? Ah ! Gaston ! savez-vous où elle est ?…

— Mais, Madame la baronne, répliqua celui-ci, je vous répète que je ne suis pas l’époux de votre fille. Vous avez été victime d’un imposteur qui se sera paré de mes titres et aura imité ma physionomie. Ce n’est pas la première fois que pareil fait se produit. On n’est pas le dernier descendant du grand Bayard sans susciter l’envie autour de soi. Quelqu’un a pris ma place.

Le baron contemplait, maintenant le chevalier et pensait : « Dit-il vrai, Cet homme ressemble à mon gendre d’une façon étonnante : mais comment expliquer son attitude ? Il n’a pas l’air d’un fou… C’est là un mystère impénétrable… »