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D’Arsac se rendit à cette raison majeure. Il accepta de passer la nuit dans le château.

D’Arsac se retira donc seul dans ses appartements après avoir salué la jeune mariée avec les marques du plus profond respect.

— Enfin seul ! se dit-il en fermant la porte à clef, il était temps ! Ces gens finiraient par me faire devenir fou. Mais qu’est donc devenu le marié ? J’en ai assez à la fin d’agir par procuration. Ah ! ça, Mordious ! on finirait par me coller pour tout de bon une épouse sur le dos. Demain il faut absolument retrouver ce diable de mari. En attendant, dormons, la nuit porte conseil.

Pendant ce temps, le baron et la baronne de Carteret échangeaient leurs impressions et plaignaient leur fille.

— Pauvre enfant ! disait la mère. Quel malheur ! Le premier jour de ses noces, son mari devient fou. Qu’allons-nous faire ?

— Nous aurons recours à une sommité médicale. Ne désespérons pas.

— Aurait-on supposé que le comte de Savignac fût malade ? Un homme habituellement si réservé ! Fiez-vous aux apparences.

— Nous aviserons demain.

Et les deux époux s’endormirent.

Seule dans sa chambre, la jeune mariée était éveillée encore. Elle pleurait son bonheur perdu et se remémorait les beaux jours des fiançailles. C’est dans un bal qu’elle avait rencontré le fringant cavalier qui lui avait dit être le comte de Savignac. Tout de suite elle l’avait aimé. Le comte avait demandé sa main et l’avait obtenue. Il était de bonne noblesse et le baron de Carteret l’avait agréé sans hésitation.

La jeune baronne Marguerite de Carteret apportait à son mari un million cinq cent mille livres de dot. L’époux apportait un nom glorieux, sa distinction naturelle et son bel esprit, ce qui, aux yeux de la jeune fille, valait bien aussi quelques millions de francs.


Nuit agitée, sombre réveil


La jeune mariée en était là dans les réflexions qui peuplaient son insomnie, lorsqu’un bruit discret frappa son oreille.

On grattait à la porte.

— Qui est là ? fit-elle.

— Chut, dit une voix. C’est moi.

— Qui donc ?

— Moi, Gaston.

La baronne reconnut, en effet, la voix du chevalier d’Arsac. Elle ouvrit la porte. Son époux apparut sur le seuil.

— Vous allez mieux, mon ami ?

— Moi ? mais je vais très bien.

— Ah ! vous nous avez très effrayés.

— C’est vrai. Écoutez-moi Marguerite. J’avais perdu la tête. J’ai reçu une visite inattendue, la visite d’un ennemi qui me poursuit de sa haine. C’est ce qui vous explique ma conduite. Mais à présent, tout est fini. Pardonnez-moi.

La jeune femme était tout heureuse. Elle retrouvait enfin dans son époux non plus l’être étrange, le dément qui avait tant étonné les convives, mais le fiancé délicat et prévenant qui l’avait charmée par la noblesse de son caractère et la distinction de ses manières. Soudain la jeune femme suffoqua ; une forte odeur lui montait aux narines ; l’odeur bien connue du chloroforme.

Elle voulut parler, crier. Elle ne parvint qu’à pousser un faible gémissement et perdit connaissance.

— Eh bien ! mon aimée, m’entendez-vous ? demanda-t-il.

Elle ne répondit point.

Alors l’homme alla ouvrir la porte et fit un signe à l’extérieur.

Trois hommes masqués entrèrent. Ils avaient sans doute, reçu des ordres précis au préalable, car, sans hésitation, ils enlevèrent la jeune femme et la transportèrent à travers les couloirs silencieux du château.