Le domestique s’inclina respectueusement et retira en murmurant :
— C’est le frère du marié, sans doute.
Le chevalier attendait, debout, dans l’ombre du boudoir, lorsqu’il crut s’apercevoir dans un miroir. Et, soudain, il sursauta : ce n’était pas le reflet de son visage qui lui apparaissait ; c’était son image même, c’était un étranger qui lui ressemblait comme un frère.
Le nouvel arrivant, sortant d’un vestibule éclairé, ne vit d’abord qu’indistinctement d’Arsac, caché dans la pénombre du boudoir. Il n’en fut pas de même du chevalier à qui l’inconnu apparut en pleine clarté. Sa première surprise passée, il s’écria :
— Monsieur, voulez-vous me dire à qui j’ai l’honneur de parler ?
— Au chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac, comte de Savignac, répondit l’étranger.
— Qu’est-ce à dire ? gronda d’Arsac en se redressant comme un coq sur ses ergots. Le chevalier d’Arsac, c’est moi, monsieur !
L’étranger bondit littéralement, comme s’il avait mis le pied sur des tisons ardents. Ses yeux s’étaient accoutumés à l’obscurité et il avait distingué les traits du visiteur inattendu. Son visage exprima l’ahurissement le plus parfait.
— Enfin, pensa d’Arsac, je vais connaître le mot de l’énigme.
Il espérait une explication ; mais, soudain, au moment où il s’y attendait le moins, il vit l’étranger tourner les talons et se sauver avec une rapidité absolument déconcertante.
— Mordious ! s’écria d’Arsac, que signifie cette réception !… Hé ! monsieur !… pourquoi donc fuyez-vous ?
Et il se précipita sur les pas de l’inconnu qui lui ressemblait d’une si étonnante façon. Il l’aperçut qui disparaissait au fond d’un couloir.
Dès lors, ce fut une course, une chasse à travers les chambres désertes et des galeries où apparaissaient par instants, les faces étonnées des serviteurs.
D’Arsac s’aperçut enfin qu’il était seul à courir et que le lièvre qu’il poursuivait avec acharnement avait disparu. Il résolut de le chercher à travers les salles du château. Mais bientôt il vit apparaître tout un monde sélect, messieurs en habit, dames en toilettes de soirée, qui, à son apparition, l’observèrent avec une curiosité inquiète.
Une jeune femme vêtue en mariée vint à lui :
— Que s’est-il passé, mon cher Gaston ? lui dit-elle avec douceur.
D’Arsac s’arrêta ahuri :
— Est-ce à Madame la baronne de Carteret que j’ai l’honneur de parler, demanda-t-il.
La jeune femme leva sur lui des yeux effarés, tandis que des voix chuchotaient :
— Accès de folie subite, ce pauvre comte !
— Me prend-on pour un fou ? se demanda d’Arsac.
Et il renouvela sa question.
— Mais oui, Gaston, finit par répondre en tremblant la jeune femme, je suis votre épouse. Ne me reconnaissez-vous pas ?
— Voilà qui est fort ! s’écria le chevalier impatienté. Madame, je ne comprends rien à ce qui se passe ici… Voudriez-vous avoir l’obligeance de me dire où je pourrais trouver Monsieur votre époux ?
Mais au lieu de répondre, la jeune femme fondit en larmes et d’Arsac l’entendit murmurer d’un accent désespéré :
— Mon Dieu ! c’est vrai ! il est devenu fou !