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Feuilleton du COURRIER DE SION
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— Une femme sans tête ! s’écria Legay en réprimant un frémissement. Il avait failli dire : « Cette femme sans tête, nous l’avons vue nous aussi ».

— Oui, dit le comte, c’est une histoire relative à ma famille. Une tradition veut qu’un de mes ancêtres ait eu, il y a quelques siècles, maille à partir avec un moine appartenant à la confrérie établie dans le monastère dont on voit les ruines d’ici. Ce moine était issu de la branche cadette des Beaulieu qui aurait été lésée. C’était un saint homme qui avait suivi sa vocation. En réalité, il n’y eut entre lui et mon ancêtre aucun dissentiment. Mais certains paysans cupides prêtant leurs sentiments à ce religieux, lui attribuèrent certains malheurs qui frappèrent ma famille.

Après sa mort, on prétendit même que son âme hantait le château et poursuivait de sa rancune les descendants de la branche aînée. C’est là une légende qui impressionne les bonnes gens du pays.

— Et la femme sans tête ? interrompit Legay.

— Ceci appartient à l’histoire. C’est un épisode tragique de la terreur. Vous n’ignorez pas, sans doute qu’une de mes grand’tantes, la marquise de Beaulieu mourut sur l’échafaud.

— Je l’ignore, dit Legay.

— N’avez-vous donc jamais lu « Les Souvenirs d’Antony » de Dumas père ?

— Non.

— L’auteur de « Monte-Cristo » relate cet épisode historique. Je possède cet ouvrage dans ma bibliothèque et, si vous le désirez, je vous ferai lire le passage qui a trait à ma famille.

— Très volontiers.

— Ma grand’tante, la marquise Blanche de Beaulieu eut donc la tête tranchée. Ce drame horrible fit naître une nouvelle légende et l’on prétendit que la pauvre morte revenait. Mes serviteurs affirment avoir vu, la nuit, en compagnie du moine à la cagoule noire, une dame sans tête, toute vêtue de blanc. Parfois, disent-ils, ces deux mystérieux personnages se promènent dans le parc, à la clarté de la lune, d’autres fois dans les couloirs ténébreux et solitaires du Château. Quoi qu’il en soit, comme je vous le disais tout à l’heure, trois serviteurs m’ont d’abord quitté en déclarant que ce manoir était hanté. Un quatrième a été trouvé poignardé dans une galerie ; comme on n’avait pas découvert le meurtrier, on affirma qu’il avait été tué par le moine noir. Enfin, ce matin, un cinquième serviteur vint me trouver. Il était tout effaré et tremblant. Il me déclara que, cette nuit-même, il avait entendu du bruit dans le couloir. Il s’était levé et habillé, puis s’étant emparé d’une lumière, il était sorti de sa chambre. C’est alors qu’il avait vu le moine noir et la dame sans tête. Il tomba évanoui et ce matin il me déclara, à regret, qu’il n’oserait plus passer une nuit ici.

— Tout cela est bien étrange ! remarqua Legay.

Le repas terminé, les trois jeunes hommes firent une promenade dans le parc. Puis ils rentrèrent au château. Le comte conduisit ses hôtes dans sa bibliothèque et offrit des cigares.

Tout en fumant, on reparla de la mystérieuse femme sans tête.

— Je vais vous montrer le passage du roman relatif à cet horrible épisode, dit Louis de Beaulieu.

Il tira de sa bibliothèque « Les Souvenirs d’Antony », d’Alexandre Dumas père, et, l’ayant ouvert, il le tendit à Legay, en disant :

— Voici ce que dit Dumas.