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vu qu’au théâtre lorsqu’on jouait les « Trois Mousquetaires » ou quelque autre pièce de cape et d’épée.

M. Corbier, à l’aspect de cette tête blafarde et sanglante, de ces yeux au regard fixe et terrible, de ce corps qu’il devinait contorsionné par les atroces souffrances qui précèdent la mort, avait reculé en poussant un cri d’effroi.

Aussitôt, il entendit du bruit derrière lui. Des pas se rapprochèrent. Ses deux clients inconnus lui apparurent, graves, muets, implacables comme des justiciers.

Enfin l’un d’eux lui dit d’une voix tranchante, chargée de menaces latentes :

— Pourquoi avez-vous ouvert ce coffre ?

— J’avais cru entendre une plainte… balbutia M. Corbier.

— Ce n’est pas une raison. Nous avions exigé de vous la discrétion ; nos secrets n’appartiennent qu’à nous. Continuez votre travail ; nous statuerons tantôt sur votre sort.

Le maître-maçon se rebiffa :

— Continuer mon travail ! s’écria-t-il, murer un cadavre ! ensevelir un crime dans une tombe, alors que la victime crie vengeance ! Jamais.

D’un geste mesuré et calme, l’inconnu leva son revolver.

L’ouvrier vit la gueule menaçante de l’arme, le fin cercle d’acier d’où jaillirait la mort qui allait le frapper.

Il trembla, non pour lui, mais pour sa femme et ses deux enfants.

Et il hésita : d’un côté le devoir, de l’autre, l’amour familial, la vie des siens, le bonheur…

L’inconnu sembla lire les pensées qui agitaient l’ouvrier, deviner le combat qui se livrait en lui, car il dit :

— Songez que nous faisons partie d’une association puissante qui frappe dans l’ombre et se venge. Songez à votre famille !

L’ouvrier courba la tête : il était vaincu.

— Préférez-vous terminer votre besogne, ou mourir ? reprit l’inconnu.

— Je terminerai ma besogne, dit M. Corbier en frémissant.

Il se remit au travail fiévreusement, en songeant. Il cherchait à excuser sa lâcheté en se disant :

— Après tout, je ne puis rien faire pour l’instant… Ma mort ne sauverait pas l’inconnu qui repose dans la malle… Et puis, cet inconnu est mort maintenant, selon toute vraisemblance. Le parti le plus sage à prendre, c’est d’attendre… Quand je serai libre, je révélerai à la police tout ce que j’ai vu…

Une demi-heure après, le réduit était muré.

— Bien, dit un des inconnus à l’ouvrier, nous sommes satisfaits de votre ouvrage. Vous allez retourner chez vous comme vous êtes venu. Mais souvenez-vous que nous exigeons de vous le secret le plus absolu : une seule parole imprudente sortie de vos lèvres, la moindre révélation faite à votre femme, et notre vengeance sera implacable : elle vous frappera vous et ceux à qui vous auriez révélé notre secret.

M. Corbier ne répondit rien. Il avait presque honte de lui-même et frissonnait d’indignation. Il se laissa toutefois bander les yeux et conduire par la main.

Les inconnus le firent descendre les escaliers qu’il avait gravis en venant ; puis il monta dans l’auto qui partit à grande vitesse et refit de nouveau de nombreux détours, pour dérouter l’observation.

Enfin la voiture ralentit peu à peu sa marche.

— Descendez, dit une voix, et pas un mot.

Au même instant, M. Corbier sentit qu’on lui enlevait son bandeau. Il franchit le marche pied et sauta à terre.

L’auto, dont le moteur était toujours en mouvement, partit avec un ronflement sourd et précipité. Un instant après, elle avait disparu dans l’ombre de la nuit.