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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Le commissaire-priseur prit délicatement en main la statuette que, quelques instants auparavant, il contemplait d’un regard dédaigneux, et l’élevant comme une relique, il dit d’un ton solennel :

— Adjugé !

Le sort en était jeté !

Un doute subsistait encore dans l’esprit du commissaire qui, en son for intérieur, se demandait s’il n’avait pas été victime d’audacieux fumistes. Un instant, il crut que l’acheteur allait prudemment se faufiler dans la foule et disparaître.

Mais il n’en fut rien. On vit le jeune homme s’avancer vers le bureau du commissaire-priseur, ouvrir son porte-feuille et en tirer des liasses de billets de banque. Puis, ayant fait emballer sa statuette, il la prit et sortit.

Tout le monde le suivit des yeux.

— Que va-t-il faire de ce pâtre ? se demandait-on. Pourquoi l’a-t-il acheté 62 000 francs ? Que serait bien cette statuette pour avoir une valeur telle ?

Le jeune dandy avait quitté la salle de vente.

Derrière lui, le vieillard avançait d’un pas alerte ; il le suivait comme le meurtrier suit sa victime, comme le fauve suit sa proie, avec prudence et sûreté, attendant le moment de bondir et de frapper.

Le jeune homme monta dans une limousine qui l’attendait ; le vieillard prit une auto. Les deux rivaux arrivèrent ainsi boulevard Saint-Germain. Le dandy pénétra dans un hôtel luxueux. Son compétiteur avisa le laquais d’une maison voisine et demanda :

— Connaissez-vous le monsieur qui vient de pénétrer ici ?

— Oui, Monsieur, c’est le comte de Beaulieu.

Le vieillard recula, tremblant, effaré, comme si la foudre était tombée devant lui. Et son interlocuteur l’entendit balbutier :

— Le comte de Beaulieu ! Malédiction !

Puis il tourna les talons et partit en chancelant, comme un ivrogne.


Le secret du pâtre


Une heure après, le jeune dandy sortait de l’hôtel du boulevard Saint-Germain. Sa limousine l’attendait à la porte. Il lança une adresse à son chauffeur.

Quelques temps après, il pénétrait dans un immeuble de la rue Galilée.

— Monsieur Léon Sauvage est-il chez lui ? demanda-t-il à la concierge.

— Je le crois bien, Monsieur. Au second, première porte à droite.

— Je sais. Merci.

Arrivé au second étage, il sonna. Un domestique vint ouvrir. D’un geste délibéré, il tendit sa carte, sur laquelle était écrit :

MARCEL LEGAY
gentilhomme cambrioleur


Un jeune homme de son âge, blond, élancé, vint à lui en s’écriant :

— Comment, toi ici, Marcel ! Et sous ton nom véritable ? Tu ne crains donc pas…

— Je ne connais pas la crainte…

— Toujours audacieux.

— Toujours, mon cher Léon.

— Et quel bon vent t’amène ?

— J’ai besoin de toi.

— Parle, je t’écoute.

Les deux amis s’installèrent dans un petit cabinet de travail et allumèrent des cigares.

Marcel Legay commença :

— Tu sais que j’ai toujours professé les idées les plus larges et que, lorsqu’il s’agit de la propriété d’autrui, je suis libre-échangiste. Comme j’étais né sans titres, ni fortune, j’ai considéré que le sort m’avait frustré et j’ai