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Là, on le somma de renoncer à son imposture : comme il refusait de signer les engagements qu’on attendait de lui, les cinq compagnons le poignardèrent.

Puis, deux Francs-Juges s’étant déguisés, se rendirent chez M. Corbier et firent, comme on sait, murer la porte du réduit dans lequel le cadavre, jeté dans un coffre, avait été caché. Il s’agissait, en effet, de faire disparaître à jamais ce corps compromettant dans lequel les barons de Gramat eussent pu déclarer reconnaître Louis de Bourbon et en profiter pour faire dresser son acte de décès. De ce fait, le véritable héritier eût perdu tout droit… Il fallait donc que le crime ou, si l’on préfère, le châtiment, restât inconnu. On ne pouvait mieux le cacher qu’en faisant secrètement murer une tombe dans une maison inhabitée, par un ouvrier maçon dont on banderait les yeux et qui ignorerait jusqu’à son genre de travail. Mais on a vu comment le suprême cri d’agonie de la victime avait découvert le crime.

Les deux compagnons de la Sainte-Vehme, après avoir délibéré, ordonnèrent au maçon de garder le silence le plus absolu sur les faits dont il avait été témoin. Le malheureux n’ayant pas tenu sa promesse, fut condamné par la Sainte-Vehme qui craignait que ses indications ne fissent découvrir l’endroit où était caché le cadavre du faux comte de Beaulieu.

C’est alors que parut le chevalier d’Arsac qui devait, à son tour, devenir, sans le savoir, un nouvel imposteur. La vindicte de la Sainte-Vehme le menaça dès ce moment.

En outre, Marcel Legay, l’homme-protée en qui les barons de Gramat, aussi bien que les Francs-Juges croyaient voir le véritable comte de Beaulieu, devina dans le Gascon un concurrent dangereux. Le « Rival d’Arsène Lupin » était devenu suspect à beaucoup ; il accusa le chevalier d’Arsac d’être, non seulement un imposteur, mais aussi le gentilhomme-cambrioleur qui avait nom Marcel Legay.

C’était une tactique habile. Mais les Francs-Juges crurent voir dans le chevalier d’Arsac installé boulevard Saint-Germain le vrai comte de Beaulieu et dans l’accusateur, qui se trouvait en ce moment à Orléans, l’accusé. La flèche lancée par Legay devait se retourner contre lui et le frapper.

Disons enfin, pour terminer, que la comtesse de Beaulieu, tout en ignorant le crime dont avait été victime son époux, soupçonnait ses frères d’avoir fait enlever son enfant. Elle ne leur avait pas confié que son fils portait au poignet gauche une tache de naissance. Elle craignait, en révélant ce détail, que les imposteurs habiles n’imitassent cette marque originelle qui tôt ou tard devait lui permettre de reconnaître son véritable héritier.

Vingt jours après les incidents que nous venons de rapporter, le chevalier venait de se rendre dans l’hôtel du boulevard Suchet qu’il occupait jusqu’à nouvel ordre, lorsqu’il reçut les doléances de M. Poiroteau. Celui-ci attendait toujours les 132 000 francs que devait lui payer le majordome.

— Mordious ! vous n’êtes pas encore payé ! s’écria le chevalier furieux. Voilà une maison mal tenue !…

Et il sonna son majordome :

— Monsieur ! lui dit-il, je suis très mécontent de vos services. D’où vient que le versement que je vous ai ordonné de faire entre les mains de M. Poiroteau n’ait pas encore été effectué ?

— Que M. le comte me pardonne, j’ai fait part de sa demande à M. Messager ; mais jusqu’à ce jour M. Messager ne m’a pas envoyé cette somme, ni d’autres qui seraient fort nécessaires en ce moment, car je dois avouer à M. le comte que ma caisse est vide.

— Bon, j’aviserai. Retirez-vous.

Quand le chevalier fut seul avec M. Poiroteau, il lui dit d’un air maussade :

— Je crois, monsieur, qu’il est temps que nous sortions de cette galère. Le personnel finissait par vivre à nos dépens.