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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Au nom de la confrérie, le Grand-Maître remercia d’Arsac de son intervention inespérée. Quant au chevalier, il s’engagea sur l’honneur de ne révéler aucun des secrets qu’il avait surpris. Enfin, il obtint la promesse formelle que les Francs-Juges ne poursuivraient plus de leur ressentiment le maître-maçon Corbier.

Le prince d’Armor et le vicomte de Lignan, chargés par la belle humeur et la franchise du Gascon, insistèrent pour qu’il acceptât un grade dans leur confrérie.

— Je porte déjà tant de titre !… s’écria le chevalier ; mais, si mon adhésion peut vous être agréable, je vous la donne avec joie…

Et il devint Franc-Juge. Il apprit ainsi ce que signifiaient les phrases conventionnelles qu’il avait maintes fois entendues.

« Il pleuvra ce soir », par exemple, était à la fois un signe de reconnaissance et den ralliement et pouvait se traduire par ces mots : « Es-tu des nôtres ? » — « Oui, le vent souffle de l’ouest » était la réponse et voulait dire « J’en suis ».

Les mots d’ordre et de passe changeaient chaque jour. Pour pénétrer dans un lieu de réunion, l’initié devait tantôt répondre « Je viens du sud-sud-est », tantôt du « Nord-ouest », etc., etc.

Enfin, entre compagnons qui s’étaient reconnus, la répétition de « Il pleuvra ce soir » signifiait : « Attention ! le moment d’agir est venu ! » et la seconde réponse « Oui, le vent souffle du nord », « Je suis prêt ».

On s’explique dès lors pourquoi ces paroles fatales résonnaient aux oreilles du maître-maçon Corbier comme l’avertissement d’un danger inconnu.

Un peu du mystère planait encore sur le drame de la rue d’Oran. Le vicomte de Lignan le dissipa. Il raconta au chevalier d’Arsac, qui était devenu son ami intime, comment le crime avait été commis.

La Haute-Cour de la Sainte-Vehme avait été avisée qu’un troisième imposteur, soudoyé par les barons de Gramat, avait surgi. Le vicomte de Lignan fut chargé d’ouvrir une enquête. Il apprit que l’homme qui se substituait au véritable comte Louis de Beaulieu se nommait François Deschamps. C’était un rastaquouère de bas étage traqué par la police pour vols, abus de confiance et meurtres. Il ne manquait toutefois pas d’intelligence, ni d’habileté. Il avait accepté les offres du faux M. Messager qui n’était autre que le baron Victor de Gramat.

François Deschamps avait les traits réguliers et expressifs. Il offrait donc quelque ressemblance avec Louis de Beaulieu. Il lui avait suffi de relever sa moustache, de laisser pousser sa barbiche, de faire tailler ses cheveux d’une certaine façon et enfin de teindre tous ces ornements capillaires pour offrir le portrait vivant de son modèle.

C’est là un talent que possèdent tous les comédiens et dans lequel tout homme habile peut exceller. Il est, du reste, curieux de constater que le modèle de Deschamps n’était autre que Marcel Legay qui, de son côté, n’était qu’une imitation du comte Louis de Beaulieu, alors enfermé dans les caves de l’hôtel du boulevard Saint-Germain.

L’identité du nouvel imposteur ayant été établie, les Francs-Juges condamnèrent à mort le nommé François Deschamps. Cinq compagnons furent chargés d’exécuter la sentence : ils enlevèrent le condamné en auto et le conduisirent dans la maison inhabitée de la rue d’Oran, dont le propriétaire était affilié à la Sainte-Vehme.