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— Un instant, messieurs, dit le prince d’Armor d’une voix calme et imposante. Madame la comtesse de Beaulieu désire s’assurer que l’étranger que nous avons devant nous n’est pas son fils.

D’Arsac vit le cercle qui le menaçait s’élargir.

— Approchez-vous, monsieur, lui dit le Grand-Maître.

— Je n’approcherai, monsieur, que lorsque vous m’aurez entendu. J’ai à vous révéler un secret à côté duquel le vôtre n’a pas d’importance. Je vous prouverai que, si je ne suis pas le comte de Beaulieu, l’homme que vous protégiez l’était bien moins que moi. Enfin, je vous montrerai que, seul et dans l’espace de quinze jours, j’ai fait plus que votre association tout entière en six mois. Et je vous en donnerai la preuve en amenant devant vous le véritable comte Louis de Beaulieu vivant !

Il y eut un moment de silence solennel que le Grand Maître rompit pour dire à d’Arsac :

— Parlez, monsieur, nous vous écoutons.

Le chevalier fit alors, en termes clairs et précis, le récit de ses aventures depuis son arrivée à Paris jusqu’au moment où il avait découvert Louis de Beaulieu dans un cachot et l’avait sauvé.

Quand il eut terminé, le prince d’Armor se leva et dit :

— Monsieur le comte de Savignac, je ne doute pas de la parole d’un gentilhomme et je lis la loyauté dans vos yeux. Ce que vous avez fait est très beau et l’on peut dire que si vous n’êtes pas le véritable comte de Beaulieu, vous étiez digne de l’être.

— Eh ! mordious ! monsieur, c’est un affront que vous me faites !

— Et pourquoi donc, monsieur ?

— Parce qu’il y a eu six comtes de Beaulieu et qu’il n’y aura jamais qu’un chevalier d’Arsac ! On a imité ceux-là, on n’égalera jamais celui-ci.

Sur l’ordre du prince d’Armor, trois compagnons partirent en auto, accompagnant le chevalier d’Arsac, qui allait chercher le comte de Beaulieu. Celui-ci, dépouillé de sa barbe touffue et de ses cheveux en broussailles, était redevenu un fringant cavalier qui ressemblait étrangement au chevalier d’Arsac.

L’accent même ne manquait pas !

On le présenta à la comtesse de Beaulieu. Celle-ci se pencha vers lui comme elle s’était penchée vers d’Arsac, lui prit la main gauche et, baissant les yeux, la tint serrée dans les siennes.

— C’est bien mon fils, s’écria-t-elle en se redressant rayonnante de joie. Celui-ci est bien le vrai comte Louis de Beaulieu. Je viens de retrouver au poignet de sa main gauche une tache de naissance dont seule je connaissais l’existence.

— Madame ma mère, dit le jeune comte, en attirant vers lui d’Arsac, permettez-moi de vous présenter un second fils, mon sauveur, mon frère.

En ce moment, on entendit la voix du Grand-Maître disant aux deux assassins :

— Reconnaissez-vous dans ce jeune homme le comte Louis de Beaulieu ?

Ils restèrent muets.

— En ce cas, on se passera de votre témoignage.

Et il étendit la main en faisant un signe mystérieux.

Vingt poignards s’enfoncèrent jusqu’à la garde dans le corps des deux assassins.

L’arrêt de mort de la Sainte-Vehme était exécuté.


Vingt jours après.


Le chevalier d’Arsac, après avoir été l’ennemi des Compagnons de la Sainte-Vehme, en était devenu l’ami. Les membres de cette puissante association se recrutaient surtout parmi la noblesse. Mais selon l’ordre hiérarchique, les francs-juges étaient secondés par une légion de compagnons subalternes qui leur obéissaient aveuglément.