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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Problème troublant ! Question angoissante !

Le maître maçon travaillait avec ardeur.

Lassés sans doute de leur surveillante ou appelés à quelque autre endroit, les deux inconnus avaient laissé M. Corbier à son travail et s’étaient retirés, disant qu’ils reviendraient dans quelques instants.

L’ouvrier profita de ce répit pour se reposer un instant et examiner à nouveau la malle mystérieuse.

Soudain, il lui sembla percevoir une plainte sourde, un épouvantable râle d’agonie.

Il frémit et sentit l’effroi le gagner.

Il crut deviner que cette lamentation sourde, presque inaudible, sortait de la malle qu’il entrevoyait dans l’ombre du réduit.

Un instant la plainte devint plus perceptible, puis elle s’éteignit, comme étouffée. Mais cet instant avait suffi pour persuader M. Corbier que l’étrange lamentation sortait du réduit.

Il sentit ses cheveux ! se dresser. Quelle abominable besogne accomplissait-il ? Dieu sait ! Il ensevelissait peut-être à jamais dans la tombe une innocente victime !…

Cette idée l’incita à agir.

Il n’avait pas de temps à perdre. À tout instant, ses étranges clients pouvaient réapparaître.

Sans plus d’hésitation, il approcha le chandelier du réduit, enjamba le mur qu’il construisait et fit glisser les verrous de la malle. Si celle-ci était fermée à clef ou clouée, il n’aurait certes, pas le temps de l’ouvrir. Aussi fût-ce avec une crainte mêlée d angoisse qu’il étendit la main vers le couvercle.

Mais ce couvercle céda. M. Corbier le souleva en tremblant. Puis, approchant le chandelier, il plongea avidement ses regards à l’intérieur du coffre mystérieux.

Et soudain un tremblement nerveux l’agita et il recula avec effroi. Une seconde avait suffi pour imprimer à jamais dans son cerveau un spectacle horrible. Oui, une seconde avait suffi pour que ce spectacle, dût-il vivre mille ans, il ne l’oubliât jamais.

Qu’avait-il donc vu ?

Il avait vu deux éclairs, un regard de feu dardé sur lui, un regard terrible qui reflétait à la fois l’horreur la plus violente et la haine la plus menaçante. Oui, c’était aussi une menace épouvantable qui brillait dans ces yeux que l’on eût dit à demi arrachés de leurs orbites et qui le fixaient de leurs flammes fascinatrices.

Qu’y a-t-il au monde de plus expressif, de plus doux ou de plus effrayant qu’un regard ? Qu’y a-t-il de plus mystérieux que deux yeux qui vous contemplent dans l’ombre ?

Or, les yeux qu’avait vus M. Corbier étaient d’autant plus impressionnant qu’ils éclairaient de leur flamme un visage blafard, un visage mort, aux traits crispés par la douleur.

Et le regard qui l’avait frappé était comme une dernière lueur de l’âme dans un cadavre déjà froid.

Quant au visage de l’inconnu, l’ouvrier l’aurait désormais reconnu entre mille, malgré le sang coagulé qui le maculait. C’était une tête mâle et hardie, aux traits fins et, nettement accusés, au nez droit, aux sourcils bien arqués aux lèvres fines qu’ornait une coquette moustâche noire relevée en crocs, au menton volontaire d’où jaillissait une « royale » en bataille telle que la portaient les seigneurs de la cour de Louis XIII.

Oui, c’était une de ces têtes du XVIIIe siècle comme on n’en voit plus que dans les tableaux anciens, comme le maître-maçon n’en avait