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Feuilleton du COURRIER DE SION
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— Je nage dans une mer, dans un océan d’énigmes, se dit le chevalier d’Arsac. Il faut que j’en sorte. Cette situation m’énerve ; elle ne peut durer plus longtemps. Et tout d’abord, je dois savoir qui était ce comte de Beaulieu, qui avait l’audace de me ressembler si étonnamment et de qui je suis fatigué de tenir la place aussi inutilement. Je ne serai pas fâché de rentrer dans ma peau, à la fin…

Il comptait questionner M. Messager, mais celui-ci ne reparut pas. Le nerveux Gascon monta en auto et se fit conduire à l’hôtel du boulevard Saint-Germain, où habitait naguère le comte de Beaulieu. Comme la première fois, les laquais s’inclinèrent devant lui. Il pénétra dans un boudoir.

Il se retourna vers le valet qui l’avait accompagné et lui demanda à brûle-pourpoint :

— Il y a-t-il longtemps que le comte de Beaulieu est mort ?

Le domestique le regarda interloqué, les yeux écarquillés.

« C’est ça, pensa d’Arsac, ils me prennent à nouveau pour leur maître. Mais d’où vient-il qu’ils ne s’étonnent pas de sa… résurrection ? »

Et il reprit à haute voix :

— Bref, dites-moi quand a eu lieu… mon enterrement.

Le valet faillit tomber à la renverse. Ne sachant si le chevalier plaisantait ou était devenu fou, il n’osait répondre.

D’Arsac eut beau l’interroger, il ne put rien en tirer. Furieux, il le congédia.

— Comment savoir ? se demanda-t-il.

Il s’assit en réfléchissant au parti à prendre. Quelques instants après, un valet vint lui dire que « son » intendant sollicitait un entretien.

— Faites-le venir, dit d’Arsac.

L’intendant, homme obséquieux, aux yeux sournois, parut.

Il pleuvra ce soir, monsieur le comte.

— Oui, je sais, répliqua d’Arsac d’un ton tranchant, continuez.

— Ce que j’ai à dire à M. le comte est très important.

— Bon, je vous écoute.

— Il est très heureux que M. le comte soit revenu !… Nous l’attendions depuis quinze jours.

— Ah ! ça ! vous ne croyez donc pas à ma mort, vous !…

Il est de fait, répondit l’intendant, sans bien comprendre, que l’absence de M. le comte nous causait des craintes. Des événements graves se préparent. Plusieurs « compagnons » sont venus.

— Ah !…

M. le baron d’Avers, M. le duc de Latour, M. le vicomte de Lignan…

— Bon. Que voulaient-ils ?

— Les compagnons vont se réunir, la haute cour va tenir ses assises. La présence de M. le comte est indispensable, m’a dit M. le duc de Latour.

— Et c’est tout ? demanda d’Arsac.

L’intendant se rapprocha mystérieusement du chevalier et lui dit à voix basse :

— Non, il y a autre chose encore. Votre prisonnier pousse des cris effrayants, il demande à vous voir. Je crains que ses appels ne soient entendus…

— Mon prisonnier !… dit d’Arsac.

— Dame ! oui… votre dernier prisonnier… le vrai comte de Beaulieu.

D’Arsac réprima un mouvement de surprise. Que signifiaient ces paroles énigmatiques ? le vrai comte de Beaulieu… un prisonnier ? Voulant éclaircir ce mystère, il reprit :