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Feuilleton du COURRIER DE SION
— 12

Une dame d’une cinquantaine d’années, au profil noble et fier dont le visage semblait refléter une grande douleur, était assise dans un fauteuil. Près d’elle se tenait une homme du même âge dont les traits offraient quelque ressemblance avec ceux de la comtesse de Beaulieu.

— Voici M. le comte Louis, votre fils, dit l’inconnu en s’adressant à la dame.

Celle-ci leva sur le chevalier d’Arsac des yeux atones, ternes, sans vie, et le contempla un instant d’un regard vague !

— C’est vous, Louis ? dit-elle enfin d’une voix qu’on eût dit étouffée.

Le chevalier s’inclina sans mot dire. Le mensonge lui répugnait. Il n’avait jamais menti ; il ne savait point mentir. Il voulait bien remplir sa mission, il désirait de tout cœur, au prix de l’imposture même, sauver la vie d’une malheureuse femme, lui rendant l’espoir mais il y mettait des formes.

Sur l’invitation de la comtesse, il s’assit devant elle. Elle le contempla à nouveau de ses yeux ternes, aux paupières rougies, puis elle lui dit d’une voix faible :

— Donnez-moi la main, mon fils !

D’Arsac tendit la dextre.

— Non, dit la comtesse, l’autre main.

Le chevalier satisfit ce désir. La vieille dame baissa les yeux en tenant la main du chevalier serrée dans les siennes.

Elle resta ainsi sans mot dire, pendant de longues minutes.

D’Arsac attendait qu’elle lui adressât la parole pour répondre de la façon qu’il jugerait à la fois la plus digne de lui et la plus salutaire au point de vue de la mission qu’il s’était imposée.

Mais la vieille dame et son compagnon restaient muets.

— Ah ! ça ! pensait le chevalier, suis-je ici au milieu de fantômes ou de morts ? Tout est calme, tout est silencieux comme le séjour de la Belle au Bois Dormant. C’est très beau, mais ça m’énerve. Sandious ! Patientons… Noblesse oblige.

Enfin il vit la vieille dame hocher la tête. Il crut qu’elle allait parler ; elle s’était endormie.

Il se tourna vers « l’autre muet » comme il le qualifiait déjà. Il vit l’étranger mettre un doigt sur les lèvres pour lui ordonner le silence et lui faire signe de le suivre.

D’Arsac se leva. L’étranger le conduisit dans une chambre voisine où il lui dit à voix basse :

— Madame la comtesse, votre mère, souffre beaucoup aujourd’hui, mon enfant.

Et il leva le doigt vers son front pour indiquer le siège du mal.

« Elle devient, folle tout à fait », pensa d’Arsac.

L’étranger ajouta :

— Je vous ferai connaître le jour où votre présence pourra être favorable à notre chère malade. Adieu, Louis.

Et, lui ayant serré la main, l’étranger le conduisit jusqu’à la porte sans ajouter un mot.

— Ouf ! s’écria d’Arsac quand il fut sorti de l’hôtel, j’étouffe. Il était temps que je sortisse. Je commençais à moisir dans cette maison où règne une atmosphère soporifique au plus haut degré. Si Madame ma mère ne guérit pas à une troisième visite, je n’aurai jamais le courage de continuer cette cure. Et pourtant, il le faudra. Pauvre femme !… Son esprit est rudement détraqué et je crois que celui de son compagnon, qui est peut-être mon oncle, ne vaut guère mieux !

Il remonta dans l’auto qui l’attendait. Quant à M. Messager, il avait disparu. Le chevalier ne