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ferai ma justice moi-même ; après quoi je déposerai plainte entre les mains de M. Qui de droit. Ainsi faisaient jadis les rois menacés par le poison, ainsi fera aujourd’hui le chevalier Gaston Terrail de Bayard… et, veux-je dire, le comte de Beaulieu, votre maître. Et, maintenant, qu’on change le menu et les plats.

La nuit du même jour, le chevalier d’Arsac fut providentiellement réveillé par le roulement d’une voiture. Il avait quelque peine à se rendormir et songeait à une foule de choses, excepté à la Sainte-Vehme, lorsqu’un vague bruit venant de son cabinet de toilette éveilla son attention.

Notre Gascon était aussi prudent qu’audacieux. Il sortit, silencieusement de son lit, souleva doucement les couvertures pour leur faire prendre la forme d’un corps humain, puis s’étant légèrement vêtu à la hâte, il s’arma de son revolver et se glissa derrière la vaste tenture d’une des fenêtres.

Il attendit.

Aucun bruit, ne frappa plus son oreille. La lassitude le gagnait et il allait sortir de sa cachette, lorsque tout à coup il aperçut dans le réseau de clarté lunaire qui frappait une partie de la chambre, des ombres humaines s’avançant prudemment vers son lit.

— Mordious, je vous tiens ! rugit le chevalier.

Trois détonations retentirent dans le silence de la nuit. Le chevalier entendit des balles siffler au dessus de sa tête ; mais, suivant sa tactique, il s’était baissé et, à son tour, par quatre fois, il tira sur les inconnus. Des imprécations et des cris de douleur lui prouvèrent que ses coups avaient porté.

Il vit une ombre qui fuyait. Il tira à nouveau. Il entendit le bruit d’une porte qu’on referme et celui d’un pas précipité, puis le silence se fit.

Après avoir attendu quelques instants il fit de la lumière. Deux corps gisaient dans la chambre. Il s’approcha d’eux et constata que les inconnus portaient des habits vulgaires et étaient coiffés de casquettes graisseuses. L’un d’eux était mort, l’autre grièvement blessé.

Le chevalier poussa le bouton électrique pour appeler ses serviteurs afin de faire enlever « cette valetaille » ; mais il s’aperçut bientôt que la sonnerie ne fonctionnait pas ; les fils conducteurs avaient été coupés ! Il sortit toujours armés et gagna d’autres salles. Enfin, la sonnerie d’une pièce voisine donna l’éveil : plusieurs de ses domestiques accoururent à son appel. Il les précéda dans sa chambre et il allait leur donner l’ordre d’enlever le mort et le blessé, lorsqu’il s’aperçut avec surprise que les corps avaient disparu.

Quelqu’un veillait donc dans l’ombre. Une main mystérieuse était venue enlever les complices compromettants. Le chevalier d’Arsac fit visiter l’hôtel de fond en comble, mais on ne trouva pas trace du passage des nocturnes visiteurs. Pas une tache de sang même ne maculait les escaliers et les corridors.

— Sandious ! s’écria le chevalier, voilà ce qui s’appelle travailler proprement.

Il verrouilla toutes les portes de sa chambre et se rendormit, cette fois, d’un sommeil profond et calme, en se disant : « Mes ennemis doivent reprendre haleine ; donc j’ai le temps de me reposer à l’aise ».

Le lendemain, M. Messager vint chercher le chevalier pour le conduire chez Madame la comtesse de Beaulieu. L’auto dans laquelle les deux hommes avaient pris place s’arrêta devant un immense hôtel. Un laquais ouvrit :

— Annoncez M. le comte Louis de Beaulieu, dit M. Messager.

Et tandis qu’on introduisait le chevalier, M. Messager s’effaça et disparut presque mystérieusement.

D’Arsac pénétra dans une vaste salle du premier étage luxueusement meublée où se multipliaient des merveilles d’art.