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Feuilleton du COURRIER DE SION
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— Je l’ignore, Monsieur le comte ; mais si M. le comte veut bien me l’ordonner, je vais me renseigner.

— Oui, faites vite.

Quelques instants après, le domestique vint déclarer qu’aucun membre du personnel n’avait déposé de lettre dans le cabinet de M. le comte.

— Voilà une maison mal tenue ! s’écria le comte. Comment ! des étrangers pénètrent ici sans qu’on le sache ! Que le fait ne se reproduise plus ! vous pouvez vous retirer.

Le valet s’inclina et se retira.

— Mordious ! se dit le chevalier, quels sont ces fumistes ou ces gens mal intentionnés qui ont l’audace de se frotter au chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac, comte de Savignac ? Les Compagnons de la Sainte-Vehme ! Quelle est cette mascarade ? Il me semble en avoir entendu déjà parler.

Le chevalier sonna et fit venir son majordome.

— Et il y a longtemps que vous êtes à Paris ? lui demanda-t-il.

— Dix-huit ans, monsieur le comte.

— Avez-vous déjà entendu parler des Compagnons de la Sainte-Vehme.

Le majordome ne put réprimer un mouvement de terreur involontaire.

— Dites-moi, continua le chevalier, ce que sont ces gaillards-là. J’ai voyagé à l’étranger et ne suis ici que depuis le 6 de ce mois. J’ignore donc les nouvelles d’Europe.

Le majordome se tourna vers la porte comme s’il eût craint qu’une oreille indiscrète ne l’eût entendu.

— Parlez donc, dit le chevalier.

— On ne sait exactement, dit le majordome, qui sont les compagnons de la Sainte-Vehme dont l’existence n’est révélée que par leurs crimes. Ce sont, dit-on, des bandits mystérieux et redoutables que la police recherche depuis plusieurs années déjà et qui lui échappent sans cesse.

— Est-ce possible avec une police organisée ?

— Que M. le comte veuille bien me permettre de lui faire remarquer qu’il est fort malaisé de saisir des bandits invisibles qui frappent dans l’ombre et ne laissent d’autres traces de leur passage qu’un poignard fiché dans le cœur de leur victime. La police doit lutter contre une société secrète formidablement organisée dont aucun membre ne lui est connu. Malgré toute sa vigilance, des victimes ont été frappées de la façon la plus inattendue et la plus « accidentelle » sous les yeux mêmes des limiers qui les surveillaient et les protégeaient.

— Mais comment des faits semblables peuvent-ils se produire au vingtième siècle ?

— Que M. le comte me permette de lui donner quelques exemples. Une de ces victimes protégée par la police est morte empoisonnée après avoir bu un verre de vin venant de sa propre cave. Une autre a été écrasée dans un embarras de voitures. Accident ! dit-on d’abord ; mais il y avait dans cette série d’accidents, de telles coïncidences que l’on fit des recherches et que l’on eut la conviction que ces accidents avaient été machinés par les Compagnons de la Sainte-Vehme. Souvent aussi ces meurtriers invisibles sont plus expéditifs et l’on trouve un homme étendu dans un carrefour, le cœur percé du poignard de la Sainte-Vehme.

— Et que signifie cette Sainte-Vehme ? demanda le chevalier.

— Si M. le comte le désire je pourrais aller lui chercher un journal que j’ai conservé parce