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— Désormais vous serez mon intendant.

— Et, monsieur le chevalier, me permettez-vous une question ?

— Certes.

— Me payerez-vous mes gages ?

— Ne les ai-je pas toujours payés, César ?

— Jamais, monsieur le chevalier.

— Jamais ! C’est un simple oubli que je vais réparer sur l’heure. Combien vous dois-je ?

— Cent trente et un mille neuf cent soixante-treize francs 35 centimes.

— Très bien. Je vais vous payer ce petit arriéré.

Notre Gascon fit résonner une sonnerie électrique. Un laquais parut :

— Faites venir mon majordome, ordonna-t-il

Un instant après, un gros homme obséquieux vint s’incliner devant le chevalier.

— C’est vous mon majordome ? demanda le Gascon.

— Oui, monsieur le comte.

— Très bien. Vous allez payer à M. Poiroteau ici présent la somme de cent trente et un mille francs.

— Neuf cent soixante-treize francs 35 centimes, rectifia respectueusement M. Poiroteau.

— Cent trente deux mille francs tout rond, reprit le chevalier.

— Que monsieur le comte me pardonne, balbutia le majordome, mais je ne dispose pas, pour l’instant de cette somme.

— Bien, prenez vos dispositions pour l’avoir ce soir. Vous pouvez vous retirer.

Le majordome s’inclina très bas et sortit.

Et le chevalier, ayant congédié César, se retira dans son boudoir.

Deux jours après, l’homme mystérieux qui avait dit se nommer M. Messager vint trouver le chevalier.

— Êtes-vous satisfait de votre installation, Monsieur le comte ? demanda-t-il au Gascon.

— Oui, répondit celui-ci, jusqu’à présent je n’ai pas à me plaindre.

— J’en suis bien aise, Monsieur le comte. Si vous le voulez bien, demain je vous conduirai à l’hôtel de Mme votre mère.

— De ma mère, monsieur ?

— Mais oui, de Madame la comtesse de Beaulieu.

— Ah ! c’est vrai. Mordious ! Je l’avais oublié.

— À demain, monsieur le comte.

— À demain, monsieur.

Le soir même, en pénétrant dans son cabinet pompeusement appelé cabinet de travail — dans lequel le chevalier ne travaillait, du reste, jamais — d’Arsac trouva sur un pupitre une missive à son adresse, mais non timbrée.

Il constata que l’enveloppe portait d’énormes cachets dont le sceau représentait un poignard entouré d’éclairs, sans initiales, ni inscriptions.

Il l’ouvrit et en retira une lettre dont la lecture lui fit pousser des jurons d’apparat.

Cette lettre était ainsi conçue :

« Monsieur,

« Vous avez pris la place et le titre du comte Louis de Beaulieu dans un but inavouable. En agissant ainsi vous ignoriez sans doute que vous défiez une association puissante qui tôt ou tard vous frapperait dans l’ombre. Nous vous sommons de renoncer à votre imposture et nous vous accordons vingt-quatre heures pour abandonner vos prétentions. Si ce laps de temps écoulé, vous n’avez pas obéi, vous pourrez vous considérer condamné par notre Haute-Cour et vous préparer à la mort.

Les Compagnons de la Sainte-Vehme ».


Le chevalier rejeta avec fureur la lettre sur le pupitre et sonna son valet de chambre :

— Qui donc a eu l’audace de déposer cette lettre dans mon cabinet de travail, demanda d’Arsac.