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Feuilleton du COURRIER DE SION
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— Merci. Je vais vous dire le mobile très louable, très charitable même qui m’a décidé à faire une démarche auprès de vous. Une dame du monde, madame la comtesse de Beaulieu, puisqu’il faut l’appeler par son nom, a perdu un fils qu’elle chérissait comme son dieu. Elle en a conçu un chagrin qui la mine et la conduira à la tombe.

— Ce fils est mort ?

— Il a disparu… on est sans nouvelles… le bruit de son décès a circulé.

— Je comprends.

— La comtesse deviendra folle ou succombera au désespoir si le fils chéri ne reparaît pas ! Vous comprenez ! Nous avons pensé à vous parce que vous ressemblez au jeune comte Louis de Beaulieu d’une façon étonnante : il a votre taille, votre mâle visage, et comme vous il a été élevé dans le Midi. Il a votre accent. Bref, je vous le répète, la ressemblance est étonnante.

— Je sais, je sais.

— Comment ! vous auriez connu le comte Louis de Beaulieu ?

— Je ne l’ai jamais vu.

— Ah !

— Mais je me suis rendu dans son hôtel, boulevard Saint-Germain et ses laquais m’ont pris pour lui.

— Ah ! ah ! expliquez-moi cela.

Le chevalier raconta son aventure.

— Et c’est ce jeune comte qui a disparu ? demanda d’Arsac.

L’inconnu ne répondit pas. Il semblait songer. D’Arsac renouvela sa question.

— Oui, c’est lui, dit enfin l’étranger.

— Pauvre jeune homme et pauvre mère ! balbutia le chevalier.

— C’est, reprit l’inconnu, ce jeune homme que nous voudrions remplacer par vous, pendant quelque temps du moins, pour sauver la mère.

— Oui, oui… je comprends.

— Et…

— Inutile, ne continuez pas. J’accepte votre proposition.

Un nouveau soupir, mais qui cette fois manifestait un soulagement suprême, sortit de l’entrebâillement de la porte.

Le chevalier d’Arsac ne se retourna plus : mis en joie à l’idée de faire une bonne action, il ne voulait pas gâter le plaisir fort légitime de son fidèle César Poiroteau.


Le chevalier rentier


Trois jours après, le chevalier d’Arsac fit sa joyeuse entrée dans son magnifique hôtel du boulevard Suchet entre une double haie de laquais inclinés sur son passage.

Dès le soir même, notre Gascon était tout à fait habitué à son nouveau genre de vie ; il commandait comme un prince et était obéi comme un roi. Il était satisfait de lui et de son personnel. Il rédigeait lui-même ses menus et faisait bombance.

Inutile de dire que son inséparable M. Poiroteau l’avait suivi sur le chemin de la fortune avec autant de fidélité que sur la route des aventures.

— César, lui dit le chevalier, vous le voyez mon étoile s’élève au firmament comme je l’avais toujours prévu. Puisque je monte en grade, j’ai trop le souci de la justice pour ne pas vous entraîner dans mon orbe. À partir de ce jour, vous n’êtes plus un domestique subalterne.

— Ah ! monsieur le chevalier !