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sultez, je crois, monsieur, et si vous n’étiez mon hôte…

— Pardonnez-moi, monsieur le chevalier, je me suis mal exprimé. J’ai voulu dire : condescendance.

— Ah !… très bien. Continuez.

— Nous vous demandons simplement de ne pas contrecarrer nos projets.

— Et ces projets, quels sont-ils ?

— Voilà ce que nous désirons garder secret mais je vous donne ma parole d’honneur que ces projets n’ont rien que de très honorable.

— En réalité qu’attendez-vous de moi en échange de vos hôtels, valets, chevaux et voitures ?… Car je suppose que ce n’est pas pour le seul plaisir de me voir occuper le rang qui m’est dû que vous allez me procurer tous ces avantages ?

— Je vous l’ai dit, monsieur, nous ne demandons qu’une seule chose, c’est que vous consentiez à porter un grand nom, un très grand nom.

— Je ne comprends pas très bien. Quel est ce grand nom ?

— C’est celui du comte de Beaulieu !…

— Hein ? le comte de Beaulieu !… mon fameux sosie ?… Et c’est cela que vous exigez de moi ?…

— C’est tout, monsieur le chevalier, absolument tout. Et maintenant, il ne manque plus que votre consentement. Acceptez-vous ?

— Je refuse.

— Et… puis-je en connaître la raison ?

— La raison ! Mais supposez-vous donc que lorsqu’on a l’honneur de s’appeler le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac, comte de Savignac, on va s’abaisser à échanger des titres aussi glorieux contre celui de comte de… comment disiez-vous ?… de Beaulieu ?…

— Mais, monsieur, la noblesse des Beaulieu remonte aux Croisades.

— En ce cas, monsieur, la mienne remonte à Charlemagne, à Moïse, et qui sait… peut-être même à Adam…

— Vous voulez rire, monsieur le chevalier ?

— Je ne ris jamais, quand je parle de mes ancêtres, monsieur. Je ne ris que lorsqu’il s’agit de « votre siècle ». Vous oubliez, monsieur, que vous avez devant vous le dernier descendant du grand Bayard…

— Je le sais, monsieur le chevalier, je connais votre noblesse et vous admire. C’est pourquoi je me suis adressé à vous. Réfléchissez à ma proposition… je reviendrai prendre votre réponse.

— Inutile, monsieur, s’écria le chevalier de sa voix claironnante, inutile, je refuse, vous dis-je, je refuse.

À ce moment, un soupir profond et sonore éclata dans la salle. Le chevalier se retourna vivement pour voir d’où provenait ce bruit insolite : il aperçut dans l’entrebâillement de la porte la figure déconfite de M. Poiroteau. Il comprit tout de suite la nature de ce soupir digne d’un homme à qui l’on doit cent trente-deux mille francs : il se borna à lancer à son malheureux laquais un regard foudroyant. M. Poiroteau disparut comme par enchantement.

— Votre refus catégorique, votre brusque décision m’attriste, dit l’étranger. Vous auriez pu faire une bonne action, éviter peut-être un grand malheur…

À ces mots, le chevalier sursauta. Sans le savoir, l’étranger venait de toucher en lui une corde sensible et tout ce qu’il y avait en lui de bonté native et de générosité en notre Gascon se réveillait.

— Vous dites, monsieur, une bonne action ?… éviter un grand malheur ?… En ce cas, c’est autre chose… Je suis prêt à faire certains sacrifices… Expliquez-vous, je vous écoute.

L’étranger réprima un sourire : il avait découvert le point faible de la cuirasse et il se proposait d’en tirer parti. Il parut réfléchir un instant, et dit enfin :

— Me promettez-vous de garder le secret que je vais vous révéler ?

— Je vous en donne ma parole.