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d’autant plus important celui-ci que la majeure partie de cette somme était due à M. César Poiroteau.

Le jeune Gaston était parti pour l’Amérique dans le but de faire fortune : il en était revenu couvert de gloire, mais non d’or, après avoir accompli les exploits les plus fantastiquement inutiles, exploits qui lui avaient valu le titre de « Roi des Aventuriers ».

— Mais comment et pourquoi M. le chevalier d’Arsac vous fait-il passer pour son domestique ? demanda l’inconnu.

— C’est bien simple. On prétendait qu’il avait fait fortune au Canada et qu’il y menait une vie de grand seigneur. Je partis dans le but de liquider mes créances. Je tombai dans les mains des Peaux-Rouges qui allaient me brûler vif lorsque M. le chevalier arriva juste à temps pour me délivrer.

— Vous eûtes de la chance !

Et de la malchance aussi. Jugez de ma désillusion lorsque j’appris de la bouche même du chevalier qu’il n’avait pas fait fortune et qu’il était bien aise de me voir à l’effet d’élargir son crédit. Comme il ne me trouvait pas l’allure assez noble pour me considérer comme son compagnon, il me fit passer pour son domestique et… il m’imposa même ces fonctions.

— Et c’était le monde renversé : c’était le domestique qui payait son maître.

— Hélas, oui, monsieur.

— Et vous avez toléré ces prétentions extraordinaires ?

— Que voulez-vous monsieur ! Lorsque je récriminais sur l’élévation des dépenses, il se fâchait tout rouge en disant : « Si vous persistez à me tenir un langage aussi irrespectueux, je vous congédie, « César » ! Je lui disais alors : Mais Monsieur le chevalier, vous oubliez que je ne suis votre domestique que de nom. Savez-vous ce qu’il me répondait, Monsieur ?

— Non.

— Il me répondait : En ce cas, « Monsieur Poiroteau », je vais vous quitter, car je ne veux pas qu’on vous prenne pour mon ami.

— Et pourquoi donc ne l’avez-vous pas laissé partir ?

— Le laisser partir, Monsieur ?… Mais vous n’y songez pas ! Ne vous ai-je pas dit que M. le chevalier d’Arsac représentait pour moi près de cent trente deux mille francs. On n’abandonne pas ainsi une somme de cette importance !

— Et vous avez continué à payer les frais de voyage ?

— Hélas ! oui, M. le chevalier était à la recherche d’un filon d’or. Il m’a fait parcourir tout le Canada, traverser les Montagnes Rocheuses. Nous en avons vu du pays !

— Un beau pays, n’est-ce pas ?

— Le pays, je m’en moque ; je ne voyais d’ailleurs que l’argent qui filait entre mes doigts. Au lieu de trouver de l’or dans ces maudites Montagnes Rocheuses, j’en ai laissé. Enfin, un beau jour, le chevalier après avoir traversé le Canada de part en part arriva avec moi devant l’Océan Pacifique. Il me dit alors, d’un air très sérieux :

« Je crois, mon brave César, que nous nous sommes trompés de chemin. Nous n’avons pas trouvé d’or au Canada ; donc c’est qu’il n’en reste plus. Nous sommes arrivés cinquante ans trop tard. — Il fallait venir plus tôt, lui dis-je d’un ton aigre-doux. — J’en conviens, répliqua-t-il, j’aurais dû le faire ; mais songez que c’était impossible : je n’ai que vingt-cinq ans ! »

— C’est vrai, concédais-je. Mais qu’allons-nous faire ? Il me montra la mer, « La Providence vous répondra pour moi, dit-il. Elle a mis devant nous l’Océan Pacifique pour nous inciter au repos : c’est d’ailleurs à peu près tout ce que nous avons gagné. Profitons-en : c’est plus que rien. » Nous nous reposâmes donc à Vancouver pendant huit jours, puis le chevalier me dit : « En réalité, les mines américaines sont vides, l’or après avoir vu le jour ici a émigré. Retournons chez nous : j’ai l’impression que je ferai fortune. » Nous partîmes et nous arrivâmes ici le 6 de ce mois.