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même ? Comment va-t-il, dans cette salle plutôt froide et sombre, saisir la pensée de ses hommes à jeun et la faire rayonner ?

Il arrive d’un pas ferme, un peu balancé, à la manière des matelots ; il monte là-haut, la figure avenante et tranquille, et, tout de suite, d’une voix usagée mais chaude et forte, il s’explique, il dit ses titres, ses raisons d’être bien accueilli et adopté. Le tout clairement et modestement, d’une manière qui passe la rampe et intéresse le public. Il se met à chanter :

« N’attendez pas, mes camarades, — que j’aille amollir votre ardeur — par de vaines jérémiades — qui ne viendraient pas du cœur ! — Quand l’Alsace criait à l’aide, — sous la botte de son larron — petit sergent de Déroulède, — j’ai vingt ans sonné du clairon… »

Il se réclame de Déroulède, il est un de ses fils en esprit, et près de moi, parmi ces officiers, voici un jeune lieutenant, fils de mon cher ami le marquis de Morès, dont les patriotes gardent la mémoire. Ainsi apparaissent de nouvelles générations qui accomplissent les rêves de leurs pères. Dans quel noble milieu je me trouve ! C’est vraiment un foyer tout prêt, d’où sortiront demain l’enthousiasme de la bataille, l’acceptation du sacrifice, le grand frisson de l’héroïsme. Et ces héros en puissance, pour le plus grand nombre des paysans, regardent le chanteur avec ébahissement et circonspection, comme la lampe mystérieuse des contes magiques. Eux qui possèdent une telle puissance de calorique latent, ils s’émerveillent de cette petite flamme de lumière et de chaleur. Beaucoup d’entre eux, simples gens de la campagne, trouvent