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Et rien n’apparaissait autour de notre Épave !
Et le Vent qui mugit et l’Océan qui bave
Nous apportaient toujours la sinistre clameur
De pauvre chien blessé qui se désole et meurt !

« Un radeau par tribord ! » cria-t-on dans la brume…
Et voilà qu’en effet, là-bas, fendant l’écume,
Quelque chose de noir apparut sur la Mer
Qui criait, en fondant sur nous comme l’éclair !

C’étaient des Islandais, c’étaient des camarades
Naufragés comme nous, mais plus que nous malades,
Accrochés aux haubans du misaine brisé
Émergeant seul encor de leur bateau rasé !

Las ! que faire pour eux, nous, surnageant à peine ?
« Rien à tenter ! Rien ! Rien !!! » gémit le capitaine…
Et les gâs arrivaient vers nous, les bras tendus,
Affolés d’Espérance et sûrs d’être entendus !

« Il ne faut pas, du moins, qu’ils puissent reconnaître
Que ce sont des Bretons — et des Amis peut-être —
M’écriai-je, qui vont les regarder mourir,
Froidement, sans chercher même à les secourir ! »

Et, prenant un lambeau de voile, avec mon frère
J’en couvris de mon mieux, sur le tribord arrière
Les deux mots Eugénie et Paimpol… après quoi
Je tombai sur le pont en grelottant d’effroi.

À plat ventre, les poings collés sur nos oreilles,
Sans force pour entendre encor ces Voix pareilles
À celles qu’ont, la nuit, les noyés de Ker-Is,
Nous pleurions en disant notre De Profundis !