UNE CROIX DANS LA TRANCHÉE
Nous suivions la tranchée à vingt mètres des Boches,
Silencieux, le dos voûté, le pied glissant,
Et les canons tapaient, là, près de nous, si proches
Que le vent des obus nous fouettait en passant ;
Nous voyions, à travers les créneaux, La Boisselle,
Son petit cimetière et son îlot brumeux :
Paysage banal qu’un frôlis de ton aile
A fait sublime — ô Gloire ! — et pour jamais fameux ;
Nous bonjourions les gàs bretons du « 19me »,
À leurs postes d’écoute au bout des longs boyaux ;
On se disait deux mots — « Brezonnek »[1], parfois, même —
Les « tiens bon ! » se croisaient avec les « Kénavos »[2] ;
Quand, tout à coup, je vis, au ras de la tranchée
Une petite croix faite avec deux roseaux,
Croix sans date et sans nom, timidement cachée :
Comme en font les enfants sur les tombes d’oiseaux.