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ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux pas ; nous nous trouvons également accablés de ce que nous avons fait et de ce que nous avons manqué de faire, et nous ne savons plus par où excuser cette prudence présomptueuse qui se croyait infaillible. Nous voyons que Dieu seul est sage ; et en déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette singulière consolation, qu’on les répare quand on les pleure.

Dieu a tenu douze ans sans relâche, sans aucune consolation de la part des hommes, notre malheureuse reine (donnons-lui hautement ce titre, dont elle a fait un sujet d’actions de grâces), lui faisant étudier sous sa main ces dures, mais solides leçons. Enfin, fléchi par ses vœux et par son humble patience, il a rétabli la maison royale. Charles II est reconnu, et l’injure des rois a été vengée. Ceux que les armes n’avaient pu vaincre, ni les conseils ramener, sont revenus tout à coup d’eux-mêmes : déçus par leur liberté, ils en ont à la fin détesté l’excès, honteux d’avoir eu tant de pouvoir, et leurs propres succès leur faisant horreur. Nous savons que ce prince magnanime eût pu hâter ses affaires, en se servant de la main de ceux qui s’offraient à détruire la tyrannie par un seul coup. Sa grande âme a dédaigné ces moyens trop bas. Il a cru qu’en quelque état que fussent les rois, il était de leur majesté de n’agir que par les lois ou par les armes. Ces lois, qu’il a protégées, l’ont rétabli presque toutes seules : il règne paisible et glorieux sur le trône de ses ancêtres, et fait régner avec lui la justice, la sagesse et la clémence.

Il est inutile de vous dire combien la reine fut consolée par ce merveilleux événement ; mais elle avait appris par ses malheurs à ne changer pas dans un si grand changement de son état. Le monde une fois banni n’eut plus de retour dans son cœur. Elle vit avec étonnement que Dieu, qui avait rendu inutiles tant d’entreprises et tant d’efforts, parce qu’il attendait l’heure qu’il avait marquée, quand elle fut arrivée, alla prendre comme par la main le roi son fils, pour le conduire à son trône. Elle se soumit plus que jamais à cette main souveraine, qui tient du plus haut des cieux les rênes de tous les empires ; et, dédaignant les trônes qui peuvent être usurpés, elle attacha son affection au royaume où l’on ne craint point d’avoir des égaux, et où l’on voit sans jalousie ses concurrents. Touchée de ces sentiments, elle aima cette humble maison plus que ses palais. Elle ne se servit plus de son pouvoir que pour protéger la foi catholique,