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affliction. Mon ennemi s’est fortifié, et mes enfants sont perdus. Le cruel a mis sa main sacrilège sur ce qui m’était le plus cher. La royauté a été profanée, et les princes sont foulés aux pieds. Laissez-moi, je pleurerai amèrement ; n’entreprenez pas de me consoler. L’épée a frappé au dehors, mais je sens en moi-même une mort semblable.

Mais, après que nous avons écouté ses plaintes, saintes Filles, ses chères amies (car elle voulait bien vous nommer ainsi), vous qui l’avez vue si souvent gémir devant les autels de son unique protecteur, et dans le sein desquelles elle a versé les secrètes consolations qu’elle en recevait, mettez fin à ce discours, en nous racontant les sentiments chrétiens dont vous avez été les témoins fidèles. Combien de fois a-t-elle en ce lieu remercié Dieu humblement de deux grandes grâces : l’une, de l’avoir fait chrétienne ; l’autre, Messieurs, qu’attendez-vous ? Peut-être d’avoir rétabli les affaires du roi son fils ? Non. C’est de l’avoir fait reine malheureuse. Ah ! je commence à regretter les bornes étroites du lieu où je parle ! Il faut éclater, percer cette enceinte, et faire retenir bien loin une parole qui ne peut être assez entendue. Que ses douleurs l’ont rendue savante dans la science de l’Evangile, et qu’elle a bien connu la religion et la vertu de la croix, quand elle a uni le christianisme avec les malheurs ! Les grandes prospérités nous aveuglent, nous transportent, nous égarent, nous font oublier Dieu, nous-mêmes, et les sentiments de la foi. De là naissent des monstres de crimes, des raffinements de plaisir, des délicatesses d’orgueil, qui ne donnent que trop de fondements à ces terribles malédictions que Jésus-Christ a prononcées dans son Evangile : Malheur à vous qui riez ! malheur à vous qui êtes pleins et contents du monde ! Au contraire, comme le christianisme a pris sa naissance de la croix, ce sont aussi les malheurs qui le fortifient. Là on expie ses péchés ; là on épure ses intentions ; là on transporte ses désirs de la terre au ciel ; là on perd tout le goût du monde et on cesse de s’appuyer sur soi-même et sur sa prudence. Il ne faut pas se flatter ; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales. Mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes, quand la fortune nous les pardonne ! et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés et les plus habiles, quand nous sommes les plus élevés et les plus heureux ! Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement, et nous arracher cet aveu d’avoir failli, qui coûte tant à notre orgueil. Alors, quand les malheurs nous