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procès, tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d’heure, n’ayant pour elle que Dieu et son courage inébranlable, elle n’avait ni assez de vents ni assez de voiles pour favoriser sa fuite précipitée. Mais enfin elle arrive à Brest, où après tant de maux il lui fut permis de respirer un peu.

Quand je considère en moi-même les périls extrêmes et continuels qu’a courus cette princesse sur la mer et sur la terre durant l’espace de près de dix ans, et que d’ailleurs je vois que toutes les entreprises sont inutiles contre sa personne pendant que tout réussit d’une manière surprenante contre l’Etat, que puis-je penser autre chose, sinon que la Providence, autant attachée à lui conserver la vie qu’à renverser sa puissance, a voulu quelle survéquît à ses grandeurs afin qu’elle pût survivre aux attachements de la terre, et aux sentiments d’orgueil qui corrompent d’autant plus les âmes qu’elles sont plus grandes et plus élevées ? Ce fut un conseil à peu près semblable qui abaissa autrefois David sous la main du rebelle Absalon. Le voyez-vous, ce grand roi, dit le saint et éloquent prêtre de Marseille ; le voyez-vous seul, abandonné, tellement déchu dans l’esprit des siens qu’il devient un objet de mépris aux uns, et, ce qui est plus insupportable à un grand courage, un objet de pitié aux autres ? ne sachant, poursuit Salvien, de laquelle de ces deux choses il avait le plus à se plaindre, ou de ce que Siba le nourrissait, ou de ce que Sémei avait l’insolence de le maudire. Voilà, Messieurs, une image, mais imparfaite, de la reine d’Angleterre quand après de si étranges humiliations elle fut encore contrainte de paraître au monde, et d’étaler, pour ainsi dire, à la France même, et au Louvre, où elle était née avec tant de gloire, toute l’étendue de sa misère. Alors elle put bien dire, avec le prophète Isaïe : Le Seigneur des armées a fait ces choses, pour anéantir tout le faste des grandeurs humaines, et tourner en ignominie ce que l’univers a de plus auguste. Ce n’est pas que la France ait manqué à la fille de Henri le Grand. Anne la magnanime, la pieuse, que nous ne nommerons jamais sans regret, la reçut d’une manière convenable à la majesté des deux reines. Mais les affaires du roi ne permettant pas que cette sage régente pût proportionner le remède au mal, jugez de l’état de ces deux princesses. Henriette, d’un si grand cœur, est contrainte de demander du secours ; Anne, d’un si grand cœur, ne peut en donner assez. Si l’on eût pu avancer ces belles années dont nous admirons maintenant le cours glorieux, Louis, qui