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la guerre. Mais le moment fut manqué. Le terme fatal approchait, et le Ciel, qui semblait suspendre, en faveur de la piété de la reine, la vengeance qu’il méditait, commença à se déclarer. Tu sais vaincre, disait un brave Africain au plus rusé capitaine qui fut jamais, mais tu ne sais pas user de ta victoire : Rome, que tu tenais, t’échappe, et le destin ennemi t’a ôté tantôt le moyen, tantôt la pensée de la prendre. Depuis ce malheureux moment tout alla visiblement en décadence, et les affaires furent sans retour. La reine, qui se trouva grosse, et qui ne put par tout son crédit faire abandonner ces deux sièges qu’on vit enfin si mal réussir, tomba en langueur, et tout l’Etat languit avec elle. Elle fut contrainte de se séparer d’avec le roi, qui était presque assiégé dans Oxford, et ils se dirent un adieu bien triste, quoiqu’ils ne sussent pas que c’était le dernier. Elle se retire à Exeter, ville forte, où elle fut elle-même bientôt assiégée. Elle y accoucha d’une princesse, et se vit douze jours après contrainte de prendre la fuite pour se réfugier en France.

Princesse, dont la destinée est si grande et si glorieuse, faut-il que vous naissiez en la puissance des ennemis de votre maison ? O Eternel ! veillez sur elle ; anges saints, rangez à l’entour vos escadrons invisibles, et faites la garde autour du berceau d’une princesse si grande et si délaissée. Elle est destinée au sage et valeureux Philippe, et doit des princes à la France dignes de lui, dignes d’elle et de leurs aïeux. Dieu l’a protégée, Messieurs. Sa gouvernante, deux ans après, tire ce précieux enfant des mains des rebelles, et, quoiqu’ignorant sa captivité et sentant trop sa grandeur, elle se découvre elle-même, quoique refusant tous les autres noms elle s’obstine à dire qu’elle est la Princesse, elle est enfin amenée auprès de la reine sa mère, pour faire sa consolation durant ses malheurs, en attendant qu’elle fasse la félicité d’un grand prince et la joie de toute la France. Mais j’interromps l’ordre de mon histoire. J’ai dit que la reine fut obligée à se retirer de son royaume. En effet elle partit des ports d’Angleterre à la vue des vaisseaux des rebelles, qui la poursuivaient de si près qu’elle entendait presque leurs cris et leurs menaces insolentes. O voyage bien différent de celui qu’elle avait fait sur la même mer lorsque, venant prendre possession du sceptre de la Grand’Bretagne, elle voyait pour ainsi dire les ondes se courber sous elle, et soumettre toutes leurs vagues à la dominatrice des mers ! Maintenant, chassée, poursuivie par ses ennemis implacables, qui avaient eu l’audace de lui faire son