Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/297

Cette page n’a pas encore été corrigée

défaut de Charles aussi bien que de César ; mais que ceux qui veulent croire que tout est faible dans les malheureux et dans les vaincus ne pensent pas pour cela nous persuader que la force ait manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. Poursuivi à toute outrance par l’implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s’est pas manqué à lui-même. Malgré les mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre, on n’a pas pu le forcer, et comme il n’a jamais refusé ce qui était raisonnable, étant vainqueur, il a toujours rejeté ce qui était faible et injuste, étant captif. J’ai peine à contempler son grand cœur dans ces dernières épreuves. Mais certes il a montré qu’il n’est pas permis aux rebelles de faire perdre la majesté à un roi qui sait se connaître ; et ceux qui ont vu de quel front il a paru dans la salle de Westminster, et dans la place de Whitehall, peuvent juger aisément combien il était intrépide à la tête de ses armées, combien auguste et majestueux au milieu de son palais et de sa cour. Grande reine, je satisfais à vos plus tendres désirs quand je célèbre ce monarque, et ce cœur, qui n’a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu’il est, et devient sensible, même sous ce drap mortuaire, au nom d’un époux si cher, à qui ses ennemis mêmes accorderont le titre de sage et celui de juste, et que la postérité mettra au rang des grands princes, si son histoire trouve des lecteurs dont le jugement ne se laisse pas maîtriser aux événements ni à la fortune.

Ceux qui sont instruits des affaires, étant obligés d’avouer que le roi n’avait point donné d’ouverture ni de prétexte aux excès sacrilèges dont nous abhorrons la mémoire, en accusent la fierté indomptable de la nation ; et je confesse que la haine des parricides pourrait jeter les esprits dans ce sentiment. Mais quand on considère de plus près l’histoire de ce grand royaume, et particulièrement les derniers règnes, où l’on voit non seulement les rois majeurs, mais encore les pupilles, et les reines même si absolues et si redoutées, quand on regarde la facilité incroyable avec laquelle la religion a été ou renversée ou rétablie par Henri, par Edouard, par Marie, par Elisabeth, on ne trouve, ni la nation si rebelle, ni ses Parlements si fiers et si factieux : au contraire, on est obligé de reprocher à ces peuples d’avoir été trop soumis, puisqu’ils ont sous le joug leur foi même et leur conscience. N’accusons donc pas aveuglément le naturel des habitants de l’île la plus célèbre du monde, qui, selon les plus fidèles histoires, tirent leur origine des Gaules ; et ne croyons