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J’avoue, en la commençant, que je sens plus que jamais la difficulté de mon entreprise. Quand j’envisage de près les infortunes inouïes d’une si grande reine, je ne trouve plus de paroles, et mon esprit, rebuté de tant d’indignes traitements qu’on a faits à la majesté et à la vertu, ne se résoudrait jamais à se jeter parmi tant d’horreurs si la constance admirable avec laquelle cette princesse a soutenu ses calamités ne surpassait de bien loin les crimes qui les ont causées. Mais en même temps, Chrétiens, un autre soin me travaille. Ce n’est pas un ouvrage humain que je médite. Je ne suis pas ici un historien qui doive vous développer le secret des cabinets, ni l’ordre des batailles, ni les intérêts des partis : il faut que je m’élève au-dessus de l’homme, pour faire trembler toute créature sous les jugements de Dieu. J’entrerai avec David dans les puissances du Seigneur, et j’ai à vous faire voir les merveilles de sa main et de ses conseils, conseils de juste vengeance sur l’Angleterre, conseils de miséricorde pour le salut de la reine, mais conseils marqués par le doigt de Dieu, dont l’empreinte est si vive et si manifeste dans les événements que j’ai à traiter qu’on ne peut résister à cette lumière.

Quelque haut qu’on puisse remonter pour rechercher dans les histoires les exemples des grandes mutations, on trouve que jusques ici elles sont causées, ou par la mollesse, ou par la violence des princes. En effet, quand les princes, négligeant de connaître leurs affaires et leurs armées, ne travaillent qu’à la chasse, comme disait cet historien, n’ont de gloire que pour le luxe, ni d’esprit que pour inventer des plaisirs ; ou quand, emportés par leur humeur violente, ils ne gardent plus ni lois ni mesures, et qu’ils ôtent les égards et la crainte aux hommes, en faisant que les maux qu’ils souffrent leur paraissent plus insupportables que ceux qu’ils prévoient : alors ou la licence excessive, ou la patience poussée à l’extrémité, menacent terriblement les maisons régnantes. Charles Ier, roi d’Angleterre, était juste, modéré, magnanime, très instruit de ses affaires et des moyens de régner. Jamais prince ne fut plus capable de rendre la royauté, non seulement vénérable et sainte, mais encore aimable et chère à ses peuples. Que lui peut-on reprocher, sinon la clémence ? Je veux bien avouer de lui ce qu’un auteur célèbre a dit de César, qu’il a été clément jusqu’à être obligé de s’en repentir : Caesari proprium et peculiare sit clementiae insigne, qua usque ad poenitentiam omnes superavit. Que ce soit donc là, si l’on veut, l’illustre