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partout un chagrin superbe, une indocile curiosité, et un esprit de révolte, il détermine, dans sa sagesse profonde, les limites qu’il veut donner aux malheureux progrès de l’erreur et aux souffrances de son Eglise. Je n’entreprends pas, Chrétiens, de vous dire la destinée des hérésies de ces derniers siècles, ni de marquer le terme fatal dans lequel Dieu a résolu de borner leur cours. Mais, si mon jugement ne me trompe pas, si, rappelant la mémoire des siècles passés, j’en fais un juste rapport à l’état présent, j’ose croire, et je vois les sages concourir à ce sentiment, que les jours d’aveuglement sont écoulés, et qu’il est temps désormais que la lumière revienne. Lorsque le roi Henri VIII, prince en tout le reste accompli, s’égara dans les passions qui ont perdu Salomon et tant d’autres rois, et commença d’ébranler l’autorité de l’Eglise, les sages lui dénoncèrent qu’en remuant ce seul point il mettait tout en péril, et qu’il donnait contre son dessein une licence effrénée aux âges suivants. Les sages le prévirent ; mais les sages sont-ils crus en ces temps d’emportement, et ne se rit-on pas de leurs prophéties ? Ce qu’une judicieuse prévoyance n’a pu mettre dans l’esprit des hommes, une maîtresse plus impérieuse, je veux dire l’expérience, les a forcés de le croire. Tout ce que la religion a de plus saint a été en proie : l’Angleterre a tant changé, qu’elle ne sait plus elle-même à quoi s’en tenir ; et, plus agitée en sa terre et dans ses ports mêmes que l’Océan qui l’environne, elle se voit inondée par l’effroyable débordement de mille sectes bizarres. Qui sait si, étant revenue de ses erreurs prodigieuses touchant la royauté, elle ne poussera pas plus loin ses réflexions, et si, ennuyée de ses changements, elle ne regardera pas avec complaisance l’état qui a précédé ? Cependant admirons ici la piété de la reine, qui a su si bien conserver les précieux restes de tant de persécutions. Que de pauvres, que de malheureux, que de familles ruinées pour la cause de la foi, ont subsisté pendant tout le cours de sa vie par l’immense profusion de ses aumônes ! Elles se répandaient de toutes parts jusqu’aux dernières extrémités de ses trois royaumes, et, s’étendant, par leur abondance, même sur les ennemis de la foi, elles adoucissaient leur aigreur, et les ramenaient à l’Eglise. Ainsi non seulement elle conservait, mais encore elle augmentait le peuple de Dieu. Les conversions étaient innombrables ; et ceux qui en ont été témoins oculaires nous ont appris que, pendant trois ans de séjour qu’elle a fait dans la cour du roi son fils, la seule chapelle royale a vu plus de trois cents convertis, sans parler des autres, abjurer saintement